Théophile Gautier

  • Là-bas, sous les arbres s'abrite
    Une chaumière au dos bossu ;
    Le toit penche, le mur s'effrite,
    Le seuil de la porte est moussu.

    La fenêtre, un volet la bouche ;
    Mais du taudis, comme au temps froid
    La tiède haleine d'une bouche,
    La respiration se voit....

  • Un aveugle au coin d'une borne,
    Hagard comme au jour un hibou,
    Sur son flageolet, d'un air morne,
    Tâtonne en se trompant de trou,

    Et joue un ancien vaudeville
    Qu'il fausse imperturbablement ;
    Son chien le conduit par la ville,
    Spectre diurne à l'oeil...

  • Vous avez un regard singulier et charmant ;
    Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
    Votre prunelle, où brille une humide paillette,
    Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

    Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
    Ils sont de plus belle eau qu'...

  • A travers les soupirs, les plaintes et le râle
    Poursuivons jusqu'au bout la funèbre spirale
    De ses détours maudits.
    Notre guide n'est pas Virgile le poëte,
    La Béatrix vers nous ne penche pas la tête
    Du fond du paradis.

    Pour guide nous avons une vierge au teint...

  • J'ai dans mon coeur, dont tout voile s'écarte,
    Deux bancs d'ivoire, une table en cristal,
    Où sont assis, tenant chacun leur carte,
    Ton faux amour et mon amour loyal.

    J'ai dans mon coeur, dans mon coeur diaphane,
    Ton nom chéri qu'enferme un coffret d'or ;
    ...

  • 15 décembre

    Par l'ennui chassé de ma chambre,
    J'errais le long du boulevard :
    IL faisait un temps de décembre,
    Vent froid, fine pluie et brouillard ;

    Et là je vis, spectacle étrange,
    Échappés du sombre séjour,
    Sous la bruine et dans la fange,...

  • La lune de ses mains distraites
    A laissé choir, du haut de l'air,
    Son grand éventail à paillettes
    Sur le bleu tapis de la mer.

    Pour le ravoir elle se penche
    Et tend son beau bras argenté ;
    Mais l'éventail fuit sa main blanche,
    Par le flot qui passe...

  • Le monde est méchant, ma petite :
    Avec son sourire moqueur
    Il dit qu'à ton côté palpite
    Une montre en place de coeur.

    - Pourtant ton sein ému s'élève
    Et s'abaisse comme la mer,
    Aux bouillonnements de la sève
    Circulant sous ta jeune chair.

    Le...

  • Un front impérial d'artiste et de poëte,
    Occupant à lui seul la moitié de la tête,
    Large et plein, se courbant sous l'inspiration,
    Qui cache en chaque ride avant l'âge creusée
    Un espoir surhumain, une grande pensée,
    Et porte écrit ces mots : - Force et conviction...

  • Je suis enfant de la montagne,
    Comme l'isard, comme l'aiglon ;
    Je ne descends dans la campagne
    Que pour ma poudre et pour mon plomb ;
    Puis je reviens, et de mon aire
    Je vois en bas l'homme ramper,
    Si haut placé que le tonnerre
    Remonterait pour me frapper...