• Quand je pense à ma vie un grand ennui me prend,
    Et j’ai pitié de voir ma jeune destinée
    S’effeuiller solitaire, humblement résignée,
    Comme une fleur des eaux qu’emporte le courant.

    Je ne m’en émeus plus ni trop ne m’en étonne,
    Car je sais quels débris roulent les plus purs flots ;
    Et, dans un même accord, quels déchirants sanglots
    Ils mêlent si...

  • On vend du muguet blanc sous les portes cochères.
    Le soleil est doux comme une lune de miel.
    Les arbres reverdis font l’éloge du ciel,
    Et les prédicateurs descendent de leurs chaires.

    Il pleut de la gaîté. Tout le monde a vingt ans.
    Le cœur bat follement au fond de la poitrine ;
    La main tremble ; on sourit sans motif ; la narine
    Se grise des parfums...

  • L’automne s’enfuit dans la brume rose
    Et laisse l’hiver maître du jardin.
    Dès son premier pas le tyran morose
    Dirige sur tout son souffle assassin.

    Farouche, il attend le sombre cortége
    Des nuits dont les pleurs forment les glaçons ;
    Et, tout en tissant son linceul de neige,
    Sème autour de lui les mortels frissons.

    Les feuilles, pleuvant,...

  • Seront-ils toujours là quand nous disparaîtrons ?
    Les voilà, roidissant leurs vénérables troncs
    Qui des vents boréens ont lassé les colères,
    Eux, les arbres, longs murs de héros séculaires
    Durcis aux noirs assauts des hivers meurtriers,
    Inexpugnable bloc d’immobiles guerriers
    Qui sous le choc prochain des rafales nocturnes
    Pour un instant se font tout...

  • Aux pieds d’un sphinx, gardien d’une âpre sépulture,
    Béante sur le seuil du désert au sol roux,
    Des Arabes pensifs, couchés dans leur burnous,
    Caressent l’yatagan qui brille à leur ceinture.

    Rayonnement du front, fierté de la stature,
    Attestent les aïeux dont ils descendent tous ;
    Moïse et Mahomet sous leur double imposture
    Ont courbé cette race à l’...

  • O pays des glaciers, des lacs, des hommes libres,
    Air pur où l’étranger vient retremper ses fibres,
    Sublime réservoir de neige et de granit
    D’où s’épanchent sans fin les fleuves du vieux monde,
    O Suisse ! accepte ici ma tendresse profonde :
    Je t’admire, je t’aime et mon cœur te bénit.

    Ton front est couronné de neiges éternelles ;
    La foudre et le...

  • Malade et seul, n’ayant pour m’aider à souffrir
    Ni les soins maternels ni l’espoir de guérir,
    Blessé d’un chaste amour, et contraint de me taire
    Comme si je brûlais d’une ardeur adultère,
    Incapable de vivre, hélas ! de plus en plus,
    J’attends venir les jours et les maux dévolus.
    Je ne chercherai pas un secours à mes peines
    Dans le fragile appui des...

  • Au petit jour voici la Jeanne
    Qui part avec sa mère-grand,
    Pour la foire de Saint-Laurent,
    A califourchon sur un âne.

    Elle entre dans ses dix-huit ans,
    Son œil de malice pétille
    La jeunesse en elle frétille ;
    Comme un carpillon au printemps.

    Pas de mines plus éveillées
    Quand, après un conte joyeux,
    Les garçons lui font les doux yeux...

  • Juda, sept fois vainqueur de la captivité,
    Attendait le Messie en son royaume austère.
    Sec était son esprit, inféconde sa terre,
    Avare son bonheur, dure sa sainteté.

    Ainsi qu’avait pleuré la fille de Jephté,
    Ployant sous le fardeau trois fois saint du mystère.
    Tout pleurant, il suivait sa route solitaire,
    Très-douloureusement riche de vérité.

    ...

  • Les pâles amoureux cherchent les frais avrils,
    Le lent vieillard s’attarde aux douceurs de l’automne ;
    Juillet, lourd aux faucheurs, mois grave où le ciel tonne,
    Mois des blés d’or, c’est toi qu’aiment les cœurs virils !

    Car la terre, oubliant les rêves puérils
    De sa virginité qu’un bruit de source étonne,
    Ne connaît pas encor ce sanglot monotone
    Que...