Le Parnasse contemporain/1876/Flos ultimus

L’automne s’enfuit dans la brume rose
Et laisse l’hiver maître du jardin.
Dès son premier pas le tyran morose
Dirige sur tout son souffle assassin.

Farouche, il attend le sombre cortége
Des nuits dont les pleurs forment les glaçons ;
Et, tout en tissant son linceul de neige,
Sème autour de lui les mortels frissons.

Les feuilles, pleuvant, jonchent l’herbe verte
Aux givres prochains qui se va flétrir.
Seule, sur sa tige, avant d’être ouverte,
La dernière fleur lutte pour mourir.

Ce frêle bouton, qui penche tout pâle,
C’est le froid cruel qui le tient fermé ;
Sous son blanc pétale irisé d’opale
On sent palpiter un sein embaumé.

Comme il fleurirait sans la rude bise,
Comme il sourirait au beau ciel vermeil,
Comme il épandrait sa senteur exquise,
Comme il montrerait son cœur au soleil !

C’est ainsi qu’est fait le cœur du poëte,
Il ne peut s’ouvrir au souffle glacé ;
Mais qu’un doux regard d’azur le revête
Et dans le bonheur le tienne enlacé :

Comme il brise, alors, tout ce qui l’oppresse,
Comme il fait jaillir des chants infinis,
Comme il nage libre en des flots d’ivresse
Et comme il s’épanche en accents bénis !

Collection: 
1971

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