Le Parnasse contemporain/1876/Forêt d’hiver

Seront-ils toujours là quand nous disparaîtrons ?
Les voilà, roidissant leurs vénérables troncs
Qui des vents boréens ont lassé les colères,
Eux, les arbres, longs murs de héros séculaires
Durcis aux noirs assauts des hivers meurtriers,
Inexpugnable bloc d’immobiles guerriers
Qui sous le choc prochain des rafales nocturnes
Pour un instant se font tout à coup taciturnes,
Solennels et géants, horribles et nombreux,
Et défiant la mort comme les anciens preux !
Chênes, Trembles, Bouleaux, Sapins, Hêtres et Charmes,
Semblent marcher par rangs de squelettes en armes
Dont l’âme rude a fait d’invincibles remparts ;
Et du sol reluisant de leurs débris épars
Ils se dressent humant le parfum des batailles,
Tout cuirassés d’écorce ou pourfendus d’entailles
Où demain viendront boire et chanter les ramiers,
Et leur cime s’emmêle en d’immenses cimiers !

Des frères sont tombés dans un adieu sonore,
Cadavres hérissés sur la lisière encore ;
Mais dans l’armée au cœur indomptable, beaucoup
Sont morts depuis longtemps qui sont restés debout.
Ils sont tels, ces captifs rigides, que l’outrage
Éternel les retrouve augustes dans notre âge ;
Et tel est leur silence aux approches des nuits,
Que la vie en a peur et fait taire ses bruits ;
Et que le fils errant des époques dernières,
L’homme, ainsi que la bête au fond de ses tanières,
Se retire à la hâte, écrasé sous le poids
Des lourds mépris qu’il sent tomber dans l’air des bois
Sur tous les vains espoirs où son désir s’enivre.
Et le rouge soleil saigne à travers le givre
Dans l’enchevêtrement des ténébreux piliers.
Puis tout s’éteint. La nuit aux démons familiers
Monte, multipliant l’épaisse multitude ;
Et de leur propre horreur sacrant leur solitude,
Eux, les arbres, debout, disputeront aux vents
L’obscur secret du rêve où sont nés les vivants !

Collection: 
1971

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