Le Parnasse contemporain/1876/Ennui

Quand je pense à ma vie un grand ennui me prend,
Et j’ai pitié de voir ma jeune destinée
S’effeuiller solitaire, humblement résignée,
Comme une fleur des eaux qu’emporte le courant.

Je ne m’en émeus plus ni trop ne m’en étonne,
Car je sais quels débris roulent les plus purs flots ;
Et, dans un même accord, quels déchirants sanglots
Ils mêlent si souvent à leur chant monotone.

C’est la loi de tout être, et j’y cède à mon tour,
Honteuse seulement qu’à tant de fier courage
S’offrent toujours pareils l’écueil et le naufrage,
Et sans comprendre mieux qu’on survive à l’amour.

De quoi donc notre cœur est-il fait, qu’il résiste,
Qu’il saigne, et puisse encor trouver un battement
De tendresse et de joie, après ce long tourment,
Lorsqu’il se sent au fond si cruellement triste ?

Pardonner, accepter, est-ce donc moins souffrir ?
Lequel montre dans nous un plus beau privilége,
Celui qui s’abandonne au regret qui l’assiége,
Ou celui qui combat pour vaincre ou pour périr ?

Que nous vaut cependant le prix de la victoire ?
Que faisons-nous jamais de notre liberté ?
Où trouver ici-bas le calme souhaité ?
A quoi bon se défendre, hélas ! à quoi bon croire ?

Quand le vent de sa tige a détaché la fleur,
Elle suit quelque temps le torrent qui la berce ;
Sa coupe de parfums au soleil se renverse,
Et la fraîcheur de l’onde avive sa couleur.

Le voyageur lassé, l’oiseau dont l’aile plie
Demandent : — Où va-t-elle ? et l’appellent du bord,
Tandis qu’elle descend, tranquille et sans effort,
Vers la rive où tout meurt, dans l’ombre où tout s’oublie.

Collection: 
1971

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