• Mon esprit, comme un somnambule,
    Hante la crête des grands murs.
    Mes pas jamais ne sont plus sûrs
    Qu’au bord des toits où je circule.

    Dans les ténèbres je vois clair :
    Les yeux sont clos, mais l’âme ouverte ;
    Et j’avance à la découverte
    Dans la molle épaisseur de l’air.

    Je ne vois rien que ma pensée,
    Qui me guide infailliblement,
    Et...

  • Je veux, comme un artiste amoureux des émaux,
    Fondre patiemment les teintes délicates
    De la rose, du ciel, de l’or & des agates
    Pour en faire des prés, du soleil, des hameaux.

    Sur le fond de médaille, à travers les rameaux,
    Les murs remis à neuf auront des blancheurs mates,
    Et dans les blés vernis mille fleurs écarlates
    Inviteront les pieds des...

  • Qu’elle est belle avec ses grands yeux,
    Ses yeux profonds, mystérieux
    Comme le ciel où se déplie
    L’ombre des soirs silencieux !
    Un amour insensé me lie !

    Neige blanche des hauts sommets,
    Son âme froide n’a jamais
    Compris les tourments de ma vie :
    O morts paisibles, désormais
    C’est à vous que je porte envie !

    Ainsi je racontais mes...

  • Refleuris sous mon front, ô fleur de volupté,
    Fleur du rêve païen, fleur vivante & charnelle,
    Corps féminin qu’aux jours de l’Olympe enchanté
    Un cygne enveloppa des blancheurs de son aile.

    L’amour des Cieux a fait chaste ta nudité :
    Sous tes contours sacrés la fange maternelle
    Revêt la dignité d’une chose éternelle
    Et, pour vivre à jamais, s’...

  • Tout dort. Les ponts avec le gaz de leurs lanternes
    Se reflètent dans l’eau profonde. Entre les quais
    Voguent péniblement des bateaux remorqués,
    Et voici l’Hôtel-Dieu que flanquent des casernes.

    Voyez, se découpant sur les nuages ternes,
    Un vague entassement d’édifices tronqués,
    De vieux donjons pareils à des géants masqués,
    D’ogives, de créneaux, de...

  • LA NOURRICE.

    Tu vis ! ou vois-je ici l’ombre d’une princesse ?
    À mes lèvres tes doigts & leurs bagues, & cesse
    De marcher dans un âge ignoré !

    HÉRODIADE.

    De marcher...

  • Sorti pendant le jour dans les bosquets secrets,
    Sous un ciel apaisé, murmurant & plus frais.
    J’observais par endroits quelque arbre des allées,
    Mêlant à de plus verts ses branches dépouillées :
    « Oh ! ce n’est pas l’automne encore (& je passais) ;
    Ces précédents soleils ont donné par accès,
    Leur poids est assez fort pour qu’un feuillage en meure ;...

  • Les amoureux ne vont pas loin :
    On perd du temps aux longs voyages.
    Les bords de l’Yvette ou du Loing
    Pour eux ont de frais paysages.

    Ils marchent à pas cadencés
    Dont le cœur règle l’harmonie,
    Et vont l’un à l’autre enlacés
    En suivant leur route bénie.

    Ils savent de petits sentiers
    Où les fleurs de mai sont écloses ;
    Quand ils...

  • Lecteur, à toi ces vers, graves historiens
    De ce que la plupart appelleraient des riens,
    Spectateur indulgent qui vis ainsi qu’on rêve,
    Qui laisses s’écouler le temps & trouves brève
    Cette succession de printemps & d’hivers,
    Lecteur mélancolique & doux, à toi ces vers.
    Ce sont des souvenirs, des éclairs, des boutades,
    Trouvés au coin de l’...

  • La lascive Pœstum n’a pas laissé d’annales ;
    L’oubli la châtia de son inanité ;
    À peine si Tibulle en un vers a chanté
    Les roses qui jonchaient ses molles saturnales.

    Dans une plaine morne, où grincent les rafales,
    Où la Mal’aria verse un souffle empesté,
    Le néant la coucha de ses mains sépulcrales,
    Et le passant se dit : « Elle n’a pas été. »

    ...