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    QUEL beau temps ! Il faisait bon vivre...
    Dans la rue où j’allais rêvant,
    Deux vieux croque-morts, d’un pas ivre,
    Trimbalaient un cercueil d’enfant.

    Aucun cortège en deuil. Personne.
    On l’emportait comme un paquet...
    Sur le drap blanc, pas de couronne,
    Pas un pauvre petit bouquet.

    C’était navrant. Ma rêverie
    ...

  • Quand sous la majesté du Maître qu'elle adore
    L'âme humaine a besoin de se fondre d'amour,
    Comme une mer dont l'eau s'échauffe et s'évapore,
    Pour monter en nuage à la source du jour;

    Elle cherche partout dans l'art, dans la nature,
    La vase le plus saint pour brûler l'encens.
    Mais pour l'être innommé quelle coupe assez pure?
    Et quelle âme ici-bas n'a...

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    C’est l’automne. Le vint balance
    Les ramilles, et par moments
    Interrompt le profond silence
    Qui plane sur les bois dormants.

    Des flaques de lumière douce
    Tombant des feuillages touffus,
    Dorent les lichens et la mousse
    Qui croissent au pied des grands fûts.

    De temps en temps, sur le rivage,
    Dans l’anse où va boire le daim,
    ...

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    Des vastes forêts la splendeur m’enchante ;
    J’aime à contempler les sommets al tiers.
    Rien ne vaut pourtant la grâce touchante
    De la fleur qui luit au bord dus sentiers.

    O caps entassés dont l’orgueil se mire
    Dans les flots profonds du noir Sagnenay !
    Falaises à pic que la foule admire !
    Rocher que la foudre a découronné !

    Promontoires...

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        C’est en vain que, pour moi, ma raison s’évertue,
        Car je n’aime que ce qui me raille et me tue…

        Et ma grande douleur terrible, la voici :
        Partout je redirai : Je ne suis pas d’ici.

        Je n’ai rien calculé, je suis née ivre et folle.
        Au hasard, j’ai semé mon âme et ma parole.

        J’ai donné mes baisers et mes fleurs et mes lais...

  • J'aime le temps des fleurs, des fleurs fraiches écloses,
    Rougissant de pudeur sous les baisers de mai,
    Et qui parent la terre en ses métamorphoses
    D'un bandeau virginal et d'un voile embaumé.

    Oh ! les riants secrets ! Oh ! les divines choses
    Que murmure tout bas chaque calice aimé,
    Quand, sur le sein des lis, des jasmins et des roses,
    Les sylphes...

  • Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
    Premier, et de la neige éternelle des astres,
    Mon Dieu, tu détachas les grands calices pour
    La terre jeune encore et vierge de désastres ;

    Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
    Et ce divin laurier des âmes exilées
    Vermeil comme le pur orteil du séraphin
    Que rougit la pudeur des aurores foulées ;...

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    Vents qui secouez les brandies pendantes
    Des sapins neigeux au front blanchissant ;
    Qui mêlez vos voix aux notes stridentes
    Du givre qui grince aux pieds, du passant ;

    Nocturnes clameurs qui montez des vagues,
    Quand l’onde glacée entre en ses fureurs ;
    Bruits sourds et confus, rumeurs, plaintes vagues
    Qui troublez du soir les saintes horreurs...

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    Ô poète insensé, tu pends un fil de lyre
                  À tout ce que tu vois,
    Et tu dis : « Penchez-vous, écoutez, tout respire ! »
                  Hélas ! non, c’est ta voix.

    Les fleurs n’ont pas d’haleine ; un souffle errant qui passe
                  Emporte leurs senteurs,
    Et jamais ce soupir n’a demandé leur grâce
                  Aux hivers...

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    Un soir, tu t’envolas comme l’oiseau de mer
    Dont le coup d’aile altier nargue le gouffre amer :
    Et moi, debout sur la colline,
    Murmurant à la brise un chant d’Hiawatha,
    Longtemps je regardai le flot qui t’emporta,
    O doux chantre d’Evangeline !

    Comme on voit l’astre d’or, plongeant an sein des eaux,
    Laisser derrière lui de lumineux réseaux...