Les Fleurs boréales/Le Premier janvier

 
Vents qui secouez les brandies pendantes
Des sapins neigeux au front blanchissant ;
Qui mêlez vos voix aux notes stridentes
Du givre qui grince aux pieds, du passant ;

Nocturnes clameurs qui montez des vagues,
Quand l’onde glacée entre en ses fureurs ;
Bruits sourds et confus, rumeurs, plaintes vagues
Qui troublez du soir les saintes horreurs ;

Craquement du froid, murmures des ombres,
Frissons des forêts que l’hiver étreint,
Taisez-vous !… Du haut des vastes tours sombres,
La cloche a jeté ses sanglots d’airain !…

Voix mystérieuse au fond du ciel blême,
Le bronze a sonné douze coups,—minuit !
C’est le dernier mot, c’est l’adieu suprême
Que le présent jette au passé qui fuit.

Minute fatale, insensible étape,
Rapide moment sitôt emporté,
Cet instant qui naît et qui nous échappe
A fait faire un pas à l’Eternité !

Plus prompt que l’éclair ou l’oiseau qui vole,
Ce temps qu’on dépense en vœux superflus,
Ce temps qu’on gaspille en calcul frivole,
Quand on va l’atteindre, il n’est déjà plus !

Un an vient de fuir, un antre commence…
Penseurs érudits, raisonneurs subtils,
Vous qui disséquez la nature immense,
Ces ans qui s’en vont, dites, où vont-ils ? —

Ils vont où s’en va tout ce qui s’effondre ;
Où vont nos destins à peine aperçus ;
Dans l’abîme abrupt où vont se confondre
Avec nos bonheurs nos espoirs déçus ;

Ils vont où s’en va la vaine fumée
De tous nos projets de gloire et d’amour ;
Où va le géant, où va le pygmée,
L’arbre centenaire et la fleur d’un jour ;

Où vont nos sanglots et nos chants de fête,
Où vont jeunes fronts et chefs tremblotants,
Où va le zéphyr, où va la tempête,
Où vont nos hivers, où vont nos printemps !…

Temps ! Eternité ! mystère insondable !
Tout courbe le front devant vos grandeurs,
Problème effrayant, gouffre inabordable,
Quel œil peut plonger dans vos profondeurs ?

Atomes sans nom perdu dans l’espace,
Nous roulons sans cesse eu flots inconstants ;
Seul le Créateur, devant qui tout passe,
Immuable, plane au-dessus des temps.

Collection: 
1879

More from Poet

  •  
    Ô terre des aïeux ! ô sol de la patrie !
    Toi que mon cœur aimait avec idolâtrie,
    Me faudra-t-il mourir sans pouvoir te venger !
    Hélas ! oui ; pour l’exil, je pars, l’âme souffrante,
    Et, giaour errant, je vais planter ma tente
    Sous le soleil de lâ...

  •  
    Moi, mes enfants, j’étais un patriote, un vrai !
    Je n’en disconviens pas ; et tant que je vivrai,
    L’on ne me verra point m’en vanter à confesse...
    Je sais bien qu’aujourd’hui maint des nôtres professe
    De trouver insensé ce que nous fîmes là.
    Point d’armes,...

  •  
    C’était un lieu charmant, une roche isolée,
    Seule, perdue au loin dans la bruyère eu fleur ;
    La ronce y rougissait, et le merle siffleur
    Y jetait les éclats de sa note perlée.

    C’était un lieu charmant. Là, quand les feux du soir
    Empourpraient l’horizon d’...

  •  
    O soir charmant ! La nuit aux voix mystérieuses
    Nous caressait tous trois de ses molles clartés ;
    Et nous contemplions, moi rêveur, vous rieuses,
    De la lune et des flots les magiques beautés.

    Le steamer qu’emportait la roue au vol sonore,
    Eparpillait au...

  •  
    Dix printemps n’avaient pas encore
    Fleuri sur son front pâle et doux ;
    De ses grands yeux fixés sur nous
    S’échappaient des rayons d’aurore.

    L’enfance avec tous ses parfums,
    Rayonnante comme un symbole,
    Enveloppait d’une auréole,
    Les ondes de...