Fleurs impures

 

QUEL beau temps ! Il faisait bon vivre...
Dans la rue où j’allais rêvant,
Deux vieux croque-morts, d’un pas ivre,
Trimbalaient un cercueil d’enfant.

Aucun cortège en deuil. Personne.
On l’emportait comme un paquet...
Sur le drap blanc, pas de couronne,
Pas un pauvre petit bouquet.

C’était navrant. Ma rêverie
Devinait un drame brutal...
Quelque fille-mère, meurtrie,
Pleurant sur un lit d’hôpital,

Sans songer que la mort évite
Un destin à coup sûr mauvais
Au bâtard qu’on va cacher vite
Dans la glaise, au Champ-des-Navets.

Soudain, une brune fillette,
Joyeuse au bras de son amant,
Frôla, de sa fraîche toilette,
Le misérable enterrement.

Riant fort comme font les filles,
Lèvres trop rouges, cils trop noirs,
Elle avait en main ces jonquilles
Qu’on vend, en mars, près des trottoirs.

Or, dès qu’elle vit l’humble bière,
Ses yeux se mouillèrent de pleurs,
Et, charitable à sa manière,
Elle y voulut poser ses fleurs.

Mais un instinct involontaire
Retint le geste commencé ;
Elle jeta la gerbe à terre...
Et le cercueil avait passé.

O fille qui vis dans la honte,
J’aurais voulu qu’on remarquât
Et que la foule te tînt compte
De ton scrupule délicat.

Car tu gardais sous tes souillures
Un coin de cœur chaste et décent.
Tes fleurs t’ont semblé trop impures
Pour le cercueil d’un innocent.

Avec une pensée amère,
Tu repris le bouquet offert,
Songeant, sans doute, que la mère
De l’indigne hommage eût souffert !

Plus que bien des vertus suspectes,
J’aime ton simple et triste effort,
O créature qui respectes
L’enfance jusque dans la mort ;

Et l’être à qui, par pudeur d’âme,
Ta main n’osa pas faire un don,
Est un ange au Ciel, pauvre femme,
Et demande à Dieu ton pardon.

Collection: 
1862

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