Un soir, tu t’envolas comme l’oiseau de mer
Dont le coup d’aile altier nargue le gouffre amer :
Et moi, debout sur la colline,
Murmurant à la brise un chant d’Hiawatha,
Longtemps je regardai le flot qui t’emporta,
O doux chantre d’Evangeline !
Comme on voit l’astre d’or, plongeant an sein des eaux,
Laisser derrière lui de lumineux réseaux
Dorer les vagues infinies,
Quand ta barque sombrait à l’horizon brumeux,
On entendit longtemps sur l’abîme écumeux
Flotter d’étranges, harmonies.
Tu caressais ton luth d’un doigt mélodieux,
O barde ! et ; je t’ai vu d’un long regard d’adieux
Embrasser nos rives aimées,
Rêvant pour ton retour d’innombrables moissons
De poëmes ailés, de sublimes chansons
Et de légendes parfumées.
Tu partis, et longtemps ta lyre résonna
Des vallons de Kildare aux penchants de l’Etna,
Sur le Danube et sur la Loire ;
Et, brillante fanfare ou fier coup de canon,
La brise qui soufflait nous apportait ton nom
Dans un long murmure de gloire !
Dans ces pays dorés où l’art a des autels,
Tu passais, saluant tous les fronts immortels
De l’Europe, en grands noms féconde ;
Et, de Rome à Paris, de Londre à Guernesey,
Les maîtres t’acclamaient, rival improvisé
Qui surgissais du Nouveau-Monde…
Mais, comme une aile blanche ouverte dans le vent,
J’ai vu poindre une voile aux lueurs du Levant,
Dans un rayonnement féerique !
Le bronze de Cambridge a grondé dans sa tour ;
Et, dans son noble orgueil, d’un long frisson d’amour
Tressaille la jeune Amérique !
Ecoutez ! — mille voix s’élèvent dans les airs.
De la cité vivante et du fond des déserts
Monte une immense symphonie.
Ecoutez ces accents, par la brise portés
Des bords de la Floride aux coteaux enchantés
De la blonde Pensylvanie !
Des gorges du Catskill au rivage lointain
Ou le vieux Missouri, dans son cours incertain,
Roule ses eaux couleur d’orange ;
Sous les arceaux touffus des grands bois ténébreux,
Au bord des lacs géants et des bayous ombreux,
S’élève une cantate étrange.
Hozanna ! ces rumeurs, ces chants mystérieux,
C’est un monde hélant son barde glorieux ; —
Car le flot dont tu t’environnes,
O vieux roc de Plymouth, berce encor ton enfant,
Poëte bien-aimé qui revient triomphant,
Le front tout chargé de couronnes !
Août 1869.