• Le soleil disparaît dans son rouge brasier,
    Et le fleuve qui dort sous l’arche des nuages,
    Semble un champ noir coupé par des reflets d’acier.
    Vénus rit dans un fond sinistre de feuillages.

    Les bruits, les pas, les voix s’éteignent. C’est la nuit.
    Le crépuscule blanc pâlit sur l’eau moirée,
    Et l’ombre couvre tout de sa grande marée ;
    Comme un vaisseau...

  • Oui ! les cœurs sont muets et les âmes sont sourdes.
    Ce siècle est sombre ; l’air, chargé de vapeurs lourdes,
    Roule, dans un brouillard confus, des hurlements
    Vagues, mêlés de cris et de gémissements.
    La femme pleure et meurt : l’homme pleure et s’affaisse ;
    L’enfant pleure et s’éteint ; et, sous la nuit épaisse
    Et formidable, on voit serpenter dans les airs...

  • La Mélencolia se tient sur une pierre,
    Le visage en sa main, cependant que le soir,
    Triste, comme elle, étend son ombre sur la terre
    Et qu’au loin le soleil s’éteint dans un ciel noir.

    Que bâtit-on près d’elle ? Est-ce un grand monastère
    Pour une foi qui meurt, ou bien quelque manoir
    Dont les canons un jour feront de la poussière ?
    — Le soleil,...

  • YAMÎ.

    Selon le rhythme lent de vers scandant ses pas,
    Le Riçhi matinal traverse la pelouse.
    Vers le sein d’Yamî, ta sœur et ton épouse,
    Remonte, fils des Eaux ! le courant du trépas.

    YAMA.

    Pareil au faon mort-né d’une triste...

  • Quand le rêveur en proie aux douleurs qu’il active,
    Pour fuir l’homme et la vie, et lui-même à la fois,
    Rafraîchissant son âme au chant des cours d’eau vive,
    S’en va par les prés verts, par les monts, par les bois ;

    Refoulant dans son cœur la pensée ulcérée,
    Un suprême désir de néant et de paix,
    Profond comme la nuit, lent comme la marée,
    En lui...

  • Dans une cage de bois blanc,
    Où manquait l’espace à ses ailes,
    On voyait un aigle vivant
    Qui tenait closes ses prunelles ;

    Au-dessus de lui murmuraient,
    Roucoulaient, agitaient leurs têtes,
    Deux colombes qui s’adoraient
    Selon l’usage de ces bêtes.

    Et par instants l’oiseau royal
    Abaissant ses beaux yeux moroses,
    Regardait le couple...

  • Nous revenions, tous deux, par le triste chemin,
    Qui s’emplissait déjà d’une foule pressée.
    Tous avaient le pas lent et grave la pensée…
    Peut-être songeaient-ils à leur tour pour demain ?

    Je sondais, grave aussi, ce large flot humain,
    Quand je vois une enfant par sa mère embrassée ;
    La fillette à la marche était mal exercée,
    Mais portait bravement sa...

  • Fatigué des méchants et des sots : — soucieux
    Des lâchetés d’un monde immoral et factice,
    Je fuis vers l’horizon d’où viendra la Justice,
    Et je hais les vivants quand je songe aux aïeux.

    Une femme, aux baisers chastes et sérieux,
    A trempé ma fierté dans son amour complice ;
    Et je lui dis : — « Quand tu craindras que je faiblisse,
    » Mets la main sur...

  • Bien des siècles depuis les siècles du Chaos,
    La flamme par torrents coula de ce cratère,
    Et ce pic ébranlé d’un éternel tonnerre
    A flamboyé plus haut que les Chimborazos.

    Tout s’est éteint. La nuit n’a plus rien qui l’éclaire.
    Aucun grondement sourd n’éveille les échos.
    Le sol est immobile, et le sang de la Terre,
    La lave, en se figeant, lui laissa...

  • J’obéis aux vouloirs d’une fille aux yeux pers.
    En regardant ses yeux, je pense aux mers profondes
    Dont l’abîme inconnu désespère les sondes :
    Si je veux lire au fond de ses yeux, je m’y perds.

    Qui jamais résoudra le bizarre problème
    De son cœur ?… Est-ce moi, qui ne m’explique rien
    Quand je veux essayer de voir clair dans le mien,
    Et qui reste une...