• Voilà longtemps que je vous aime :
    — L’aveu remonte à dix-huit ans ! —
    Vous êtes rose, je suis blême ;
    J’ai les hivers, vous les printemps.

    Des lilas blancs de cimetière
    Près de mes tempes ont fleuri ;
    J’aurai bientôt la touffe entière
    Pour ombrager mon front flétri.

    Mon soleil pâli qui décline
    Va disparaître à l’horizon,
    Et sur la...

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    Vents, pluie, éclairs faisaient rage de telle sorte
    Qu'on n'avait jamais vu de tempête aussi forte.
    Sous l'épaisseur des bois par la bise ployés,
    Dans les nids, les petits oiseaux mouraient noyés,
    Et l'ouragan broyait toutes les créatures
    Qui n'ont point pour abri de solides toitures :
    L'abeille dans la fleur brisée, et le grillon
    Transi sous...

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    Le ciel était sans dieux, la terre sans autels.
    Nul réveil ne suivait les existences brèves.
    L'homme ne connaissait, déchu des anciens rêves.
    Que la Peur et l'Ennui qui fussent immortels.

    Le seul chacal hantait le sépulcre de pierre.
    Où, mains jointes, dormit longtemps l'aïeul sculpté ;
    Et, le marbre des bras s'étant émietté,
    Le tombeau même...

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    A l’heure d’amour, l’autre soir,
    La Mort près de moi vint s’asseoir ;
    S’asseoir, près de moi, sur ma couche.

    En silence, elle s’accouda.
    Sur mes yeux clos elle darda
    Son grand œil noir, lascif et louche ;

    Puis, comme l’amante à l’amant,
    Elle mit amoureusement
    Sa bouche sur ma bouche !

    « Viens, dit le spectre en m’enlaçant,...

  •  
    Au moment de jeter dans le flot noir des villes
    Ces choses de mon cœur, gracieuses ou viles,
             Que boira le gouffre sans fond,
    Ce gouffre aux mille voix où s’en vont toutes choses,
    Et qui couvre d’oubli les tombes et les roses,
             Je me sens un trouble profond.

    Dans ces rhythmes polis où mon destin m’attache
    Je devrais servir...

  •  

    J’ai voulu, le premier jour,
    Vendre mes chansons d’amour ;
    J’étais bien novice !
    Ô mes dignes manuscrits,
    L’épicier qui vous a pris
    M’a rendu service.

    Le second, j’ai, sur le quai,
    Vendu mon couvert marqué,
    Vieux meuble d’histoire,
    Où mon aïeule, en mordant,
    Cassa sa dernière dent,
    Sous le Directoire.

    Le...

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    À M. Burgaud des Marets .

    Quand un grand fleuve a fait trois ou quatre cents lieues,
    Et longtemps promené ses eaux vertes ou bleues
    Sous le ciel refroidi de l’ancien continent,
    C’est un voyageur las, qui va d’un flot traînant.

    Il n’a pas vu la mer, mais il l’a pressentie.
    Par de lointains reflux sa marche est ralentie ;

    Le désert, le...

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    Entré dans ces jardins, l’homme s’y renouvelle ;
    L’œil est plus clairvoyant, la nature est plus belle ;
    On vient, tout est nouveau, rien ne semble inconnu ;
    On l’avait dans le cœur, on s’en est souvenu.
    La fleur qu’en d’autres champs on dédaignait la veille,
    Cueillie en ces doux lieux paraît une merveille.
    Les oiseaux chantent mieux sur des arbres...

  • Dans la forêt chauve et rouillée
    Il ne reste plus au rameau
    Qu’une pauvre feuille oubliée,
    Rien qu’une feuille et qu’un oiseau.

    Il ne reste plus dans mon âme
    Qu’un seul amour pour y chanter,
    Mais le vent d’automne qui brame
    Ne permet pas de l’écouter.

    L’oiseau s’en va, la feuille tombe,
    L’amour s’éteint, car c’est l’hiver.
    Petit...

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    Oui ! j’ai changé souvent de maîtresse et d’amours,
    Mais, chaque fois, j’ai cru que c’était pour toujours ;
    Et, jusqu’à l’âge mûr, j’ai connu la misère
    De me duper moi-même, en me croyant sincère.
    Ah ! dans cette heure exquise où le désir naissant
    Et les parfums d’avril troublent l’adolescent,
    Heureux, heureux celui qui résout le problème
    De n...