Dernière flamme

 

Oui ! j’ai changé souvent de maîtresse et d’amours,
Mais, chaque fois, j’ai cru que c’était pour toujours ;
Et, jusqu’à l’âge mûr, j’ai connu la misère
De me duper moi-même, en me croyant sincère.
Ah ! dans cette heure exquise où le désir naissant
Et les parfums d’avril troublent l’adolescent,
Heureux, heureux celui qui résout le problème
De n’aimer qu’une fois, d’aimer toujours la même !
I1 ne connaîtra pas, celui-là, le frisson
Qui ― lorsque vient l’amour de l’arrière-saison,
Sentiment moins ardent, sensation moins vive ―
Soudain glace le cœur et fait douter qu’il vive...
C’est mon ancien regret, chère âme, et tu le sais !
Car bonheurs et chagrins de mes amours passés
Sont devenus des vers et j’en ai fait mon livre,
Misérable rêveur qui me regarde vivre.
Lorsque tu m’as choisi, tu savais bien, hélas !
Que ton bras s’appuyait sur un bras déjà las.

Quand, fixant sur mes yeux tes yeux d’esclave heureuse,
Tu me tendais la fleur de ta bouche amoureuse
« Laisse-moi seulement t’aimer ! » me disais-tu.
Et, j’en conviens, souvent mon cœur n’a pas battu,
Malgré tous mes baisers sur ton front incrédule.
Non ! il ne battait point, ― pareil à la pendule
Dont on a pour toujours arrêté le ressort,
Dans la chambre funèbre où quelque prince est mort. ―
Que j’ai souffert alors de ne pouvoir te rendre
qu’un goût sentimental, qu’un peu d’amitié tendre !
Mais j’ai voulu t’aimer, parce que tu m’aimais.
Aujourd’hui, chère enfant, viens dans mes bras, et mets,
Mets ton front sur mon cœur... Tu l’entends ?... Il palpite ! ―
Lentement, lentement, mais chaque jour plus vite,
Ainsi qu’un voyageur par l’espoir soutenu,
Le lointain exilé, l’absent, est revenu.
Mon octobre frileux donne son chrysanthème.
Ton charme et ta constance ont triomphé : Je t’aime !...
Mon enfant, serre-moi bien fort entre tes bras
Et jure, oh ! jure-moi que tu l’entretiendras,
La flamme que ta jeune haleine a fait renaître !
Car c’est mon seul bonheur, ma seule raison d’être ;
Par elle seulement je suis poète encor.
Gardons, ô mon enfant, ce suprême trésor !
Veillons, ô ma plus chère et dernière maîtresse,
Sur ce foyer d’amour qu’alluma ta tendresse,
Comme un mineur perdu protège avec sa main
Le flambeau qui lui fait retrouver son chemin !

Collection: 
1862

More from Poet

  • O poète trop prompt à te laisser charmer,
    Si cette douce enfant devait t'être ravie,
    Et si ce coeur en qui tout le tien se confie
    Ne pouvait pas pour toi frémir et s'animer ?

    N'importe ! ses yeux seuls ont su faire germer
    Dans mon âme si lasse et de tout assouvie...

  • J'écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge.
    Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge,
    Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là ;
    Elle songe sans doute au mal qui m'exila
    Loin d'elle, l'autre hiver, mais sans trop d'épouvante,
    Car je suis...

  • Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère
    Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
    S'emplit de l'odeur forte et tiède des jardins ;
    Mais j'aime aussi vos bals en plein vent d'où, soudains,
    S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
    Les polkas...

  • Songes-tu parfois, bien-aimée,
    Assise près du foyer clair,
    Lorsque sous la porte fermée
    Gémit la bise de l'hiver,

    Qu'après cette automne clémente,
    Les oiseaux, cher peuple étourdi,
    Trop tard, par un jour de tourmente,
    Ont pris leur vol vers le Midi ;...

  • Captif de l'hiver dans ma chambre
    Et las de tant d'espoirs menteurs,
    Je vois dans un ciel de novembre,
    Partir les derniers migrateurs.

    Ils souffrent bien sous cette pluie ;
    Mais, au pays ensoleillé,
    Je songe qu'un rayon essuie
    Et réchauffe l'oiseau...