• La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
    Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
    D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
    Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux,
    Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe,
    O nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
    Sur le vide papier que la blancheur défend,
    Et ni la...

  • Hier, à l’heure où l’essaim folâtre
    Des romanesques visions
    Dans les campagnes de théâtre
    Vient tenter nos illusions,

    Ardeur, jeunesse, fantaisie,
    Vous avez, — O Concepcion !
    O bel oiseau de poésie,
    Éclos aux bois où Caldéron

    Aimait à voir sous la ramée
    Passer les muses au grand vol ! —
    Converti mon âme charmée
    Aux douceurs du...

  • La neige tapissait la terre
    Et frangeait le toit des maisons ;
    Au coin de l’âtre, solitaire,
    Je regardais mes froids tisons.

    Bientôt une douce parole
    M’arrache à mon accablement…
    « — Viens ! disait-on, car je console
    » Des regrets, de l’isolement. » —

    Une femme jeune et rieuse
    S’accoudait à mon vieux fauteuil :
    La ravissante...

  • Le soleil disparaît dans son rouge brasier,
    Et le fleuve qui dort sous l’arche des nuages,
    Semble un champ noir coupé par des reflets d’acier.
    Vénus rit dans un fond sinistre de feuillages.

    Les bruits, les pas, les voix s’éteignent. C’est la nuit.
    Le crépuscule blanc pâlit sur l’eau moirée,
    Et l’ombre couvre tout de sa grande marée ;
    Comme un vaisseau...

  • D’autres, ― des innocents ou bien des lymphatiques, ―
    Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
    Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux !
    D’autres s’y sentent pris ― rêveurs ― d’effrois mystiques.

    Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu’un remords
    Épouvantable et vague affole sans relâche,
    Par les forêts je tremble à la façon d’un...

  • Oui ! les cœurs sont muets et les âmes sont sourdes.
    Ce siècle est sombre ; l’air, chargé de vapeurs lourdes,
    Roule, dans un brouillard confus, des hurlements
    Vagues, mêlés de cris et de gémissements.
    La femme pleure et meurt : l’homme pleure et s’affaisse ;
    L’enfant pleure et s’éteint ; et, sous la nuit épaisse
    Et formidable, on voit serpenter dans les airs...

  • La Mélencolia se tient sur une pierre,
    Le visage en sa main, cependant que le soir,
    Triste, comme elle, étend son ombre sur la terre
    Et qu’au loin le soleil s’éteint dans un ciel noir.

    Que bâtit-on près d’elle ? Est-ce un grand monastère
    Pour une foi qui meurt, ou bien quelque manoir
    Dont les canons un jour feront de la poussière ?
    — Le soleil,...

  • YAMÎ.

    Selon le rhythme lent de vers scandant ses pas,
    Le Riçhi matinal traverse la pelouse.
    Vers le sein d’Yamî, ta sœur et ton épouse,
    Remonte, fils des Eaux ! le courant du trépas.

    YAMA.

    Pareil au faon mort-né d’une triste...

  • Quand le rêveur en proie aux douleurs qu’il active,
    Pour fuir l’homme et la vie, et lui-même à la fois,
    Rafraîchissant son âme au chant des cours d’eau vive,
    S’en va par les prés verts, par les monts, par les bois ;

    Refoulant dans son cœur la pensée ulcérée,
    Un suprême désir de néant et de paix,
    Profond comme la nuit, lent comme la marée,
    En lui...

  • Comme j’ai poursuivi des mirages heureux
    Au fond de tes grands yeux où le rêve s’azure,
    Je veux, pour te payer ma dette avec usure,
    Te faire un monument de mes vers amoureux.

    Comme tes yeux m’ont fait des peines sans mesure,
    Mes vers, en t’exaltant, te seront rigoureux :
    Car ton nom nulle part ne sera dit par eux,
    Et de le bien garder ta tombe sera...