Le Parnasse contemporain/1866/Concepcion

Hier, à l’heure où l’essaim folâtre
Des romanesques visions
Dans les campagnes de théâtre
Vient tenter nos illusions,

Ardeur, jeunesse, fantaisie,
Vous avez, — O Concepcion !
O bel oiseau de poésie,
Éclos aux bois où Caldéron

Aimait à voir sous la ramée
Passer les muses au grand vol ! —
Converti mon âme charmée
Aux douceurs du ciel espagnol.

J’avais horreur des cantatilles
Sous les balcons des posadas,
Des caméristes, des mantilles,
Et de ces ollas podridas

Dont vivent depuis vingt années
Les compilateurs les moins lus,
Thème usé, grenades fanées
Dont le libraire ne veut plus !

J’étais fatigué des Mauresques
Qui viennent ici chaque été
Nous imposer leurs pas grotesques
Sans décence et sans volupté ;

Fronts bas où l’humanité manque ;
Corps où rien n’est intelligent ;
Agilité de saltimbanque
Et réserve de vieux sergent !

Quand la foule accueillait les bandes
De tous ces pitres zingari
Qui conduisent leurs sarabandes
Au milieu d’un charivari,

Moi je pleurais les Terpsichores,
Blanches nymphes des jours anciens,
Sous les couchants, sous les aurores
Excitant les musiciens !

Mais vous paraissez ! La basquine
De ses contours roses et blancs
Ceint votre hanche qui taquine
Le désir des yeux indolents,

Et soudain l’Espagne plus pure
Revit par vous, astre des soirs
Par vous sa plus fraîche figure,
Et tous nos cœurs sont des miroirs !

C’est le contraste qu’on demande,
Après Gil Blas et Figaro,
Ce motif de valse allemande
Qui perce sous le boléro,

Cette eau pleurant ses notes tristes
Dans les bassins des Alhambras,
Quand les doigts fous des guitaristes
Racles des airs aux señoras !

C’est, avec sa grâce guerrière,
L’Espagne des Campeadors
Raillant l’Espagne roturière,
L’Espagne des toréadors,

C’est doña Florinde ou Chimène
Qui, dans cette évocation,
Reparaît, libre de sa peine,
Heureuse de sa passion,

Tandis que, sous les lourdes grilles
Du monastère d’Avila,
Dans le groupe des chastes filles
Que le vœu chrétien y voila,

Thérèse livre aux chaudes brises
Son front que l’extase a jauni,
Et s’abandonne aux convoitises
De la croix et de l’infini.

Collection: 
1971

More from Poet

  • « Vers la terre où bientôt les citrons vont mûrir,
    » Vers l’ombre que versait la maison regrettée,
    » Vers les sentiers perdus de la grotte enchantée,
    » Il nous faut fuir, mon père, ou bien je vais mourir. »
    Ainsi chantait Mignon, lasse de trop souffrir.
    Ainsi chante...

  • Je ne suis pas celui qui s’éprend des fontaines,
    Des sables d’or, des lacs, des lueurs incertaines
    Que l’aurore répand sur les bois, — et mon cœur
    Ne s’éparpille pas dans les notes du chœur
    Qu’avec ses fleurs, ses eaux et ses firmaments chante
    La nature brutale,...

  • Quand j’ai gagné tous ces volumes,
    J’étais encor petit garçon ;
    Mais j’usais très-vite mes plumes
    Et j’apprenais bien ma leçon.

    Maintenant que mon front grisonne,
    Je ressuscite et je souris,
    Fils bien aimé, quand je te donne
    Mon trésor d’enfant, mes...

  • La poésie aussi compte ses Lapeyrouses,
    Marins prédestinés aux tempêtes jalouses,
    Dignes pourtant d’un meilleur sort ;
    Voyageurs qui partaient sous les blondes étoiles,
    Heureux, fiers du bon vent qui soufflait...

  • La pensée a des jours ineffablement calmes,
    Où la gloire effraierait comme un vice ; où les palmes,
    Où les bravos, où tout appareil de grandeur
    Déconcertent le goût et blessent la pudeur.
    On vit, on est content de vivre ! Les plans vastes
    Sont bien loin ! On est las...