Émile Verhaeren

  • Comme des clous, les gros pavés
    Fixent au sol les routes claires :
    Lignes et courbes de lumière
    Qui décorent et divisent les terres
    En ce pays de bois et de champs emblavés.

    Les plus vieilles se souviennent du temps de Rome,
    Quand s'en venaient les Dieux...

  • Les barques d'or du bel été
    Qui partirent, folles d'espace,
    S'en reviennent mornes et lasses
    Des horizons ensanglantés.

    A coups de rames monotones,
    Elles s'avancent sur les eaux ;
    On les prendrait pour des berceaux
    Où dormiraient des fleurs d'...

  • Comme des mains
    Coupées,
    Les feuilles choient sur les chemins,
    Les prés et les cépées.

    La vieille au mantelet de cotonnade,
    Capuchon bas jusqu'au menton,
    A sauts menus, sur un bâton,
    Trimballe aux champs sa promenade.

    Taupes, souris, mulots...

  • A Léon Cladel.

    Le mouchoir sur la nuque et la jupe lâchée,
    Dès l'aube, elle est venue au pacage, de loin ;
    Mais sommeillante encore, elle s'est recouchée,
    Là sous les arbres, dans un coin.

    Aussitôt elle dort, bouche ouverte et ronflante ;
    Le gazon...

  • Autant que moi malade et veule, as-tu goûté
    Quand ton être ployait sous les fièvres brandies,
    Quand tu mâchais l'orviétan des maladies,
    Le coupable conseil de l'inutilité ?

    Et doux soleil qui baise un oeil éteint d'aveugle ?
    Et fleur venue au tard décembral de l'...

  • L'ombre s'installe, avec brutalité ;
    Mais les ciseaux de la lumière,
    Au long des quais, coupent l'obscurité,
    A coups menus, de réverbère en réverbère.

    La gare immense et ses vitraux larges et droits
    Brillent, comme une châsse, en la nuit sourde,
    Tandis que...

  • C'est une troupe de gamins
    Qui porte la virevoltante étoile
    De toile
    Au bout d'un bâton vain.

    Le vieux maître d'école
    Leur a donné congé ;
    L'hiver est blanc, la neige vole,
    Le bord du toit en est frangé.

    Et par les cours, et par les rues...

  • Sitôt que le soleil dans le matin luisait,
    Comme un éclat vermeil sur un saphir immense,
    Que dans l'air les oiseaux détaillaient leur romance,
    Lu ferme tout entière au travail surgissait.

    Un va-et-vient, mêlé d'appels hâtifs bruissait,
    Et les bêtes de cour, en...

  • Et là, ce moine noir, que vêt un froc de deuil,
    Construit, dans sa pensée, un monument d'orgueil.

    Il le bâtit, tout seul, de ses mains taciturnes,
    Durant la veille ardente et les fièvres nocturnes.

    Il le dresse, d'un jet, sur les Crédos béants,
    Comme un...

  • Et je voudrais aussi ma couronne d'épines
    Et pour chaque pensée, une, rouge, à travers
    Le front, jusqu'au cerveau, jusqu'aux frêles racines
    où se tordent les maux et les rêves forgés
    En moi, par moi. Je la voudrais comme une rage,
    Comme un buisson d'ébène en feu, comme...