Émile Verhaeren

  • Brisez-leur pattes et vertèbres,
    Chassez les rats, les rats.
    Et puis versez du froment noir,
    Le soir,
    Dans les ténèbres.

    Jadis, lorsque mon coeur cassa,
    Une femme le ramassa
    Pour le donner aux rats.

    - Brisez-leur pattes et vertèbres.
    ...

  • Comme un troupeau de boeufs aveugles,
    Avec effarement, là-bas, au fond des soirs,
    L'ouragan beugle.

    Et tout à coup, par au-dessus des pignons noirs,
    Que dresse, autour de lui, l'église, au crépuscule,
    Rayé d'éclairs, le clocher brûle.

    Le vieux sonneur,...

  • (II)

    Sous les vitres du hall nitreux que le froid fore
    Et vrille et que de mats brouillards baignent de vair,
    Un soir, en tout à coup de gel, s'ouvre l'hiver,
    Dans le foyer, fourbi de naphte et de phosphore

    Qui brûle : et le charbon pointu se mousse d'or...

  • Se replier toujours sur soi-même, si morne !
    Comme un drap lourd, qu'aucun dessin de fleur n'adorne.

    Se replier, s'appesantir et se tasser
    Et se toujours, en angles noirs et mats, casser.

    Si morne ! et se toujours interdire l'envie
    De tailler en drapeaux l'...

  • Une place minime et quelques rues,
    Avec un Christ au carrefour ;
    Et l'Escaut gris et puis la tour
    Qui se mire, parmi les eaux bourrues ;
    Et le quartier du Dam, misérable et lépreux,
    Jeté comme au hasard vers les prairies ;
    Et près du cimetière aux buis nombreux,...

  • Dites, les gens, les vieilles gens,
    Que s'exaltent les coeurs dans vos hameaux ;
    Dites, les gens, les vieilles gens,
    Que la clarté s'éveille en vos carreaux
    Qui regardent la route,
    Car les mages avec leurs blancs manteaux,
    Car les bergers avec leurs blancs...

  • L'absurdité grandit comme une fleur fatale
    Dans le terreau des sens, des coeurs et des cerveaux ;
    En vain tonnent, là-bas, les prodiges nouveaux ;
    Nous, nous restons croupir dans la raison natale.

    Je veux marcher vers la folie et ses soleils,
    Ses blancs soleils...

  • L'immobile beauté
    Des soirs d'été,
    Sur les gazons où ils s'éploient,
    Nous offre le symbole
    Sans geste vain, ni sans parole,
    Du repos dans la joie.

    Le matin jeune et ses surprises
    S'en sont allés, avec les brises ;
    Midi lui-même et les pans de velours...

  • Je vous invoque ici, Moines apostoliques,
    Chandeliers d'or, flambeaux de foi, porteurs de feu,
    Astres versant le jour aux siècles catholiques,
    Constructeurs éblouis de la maison de Dieu ;

    Solitaires assis sur les montagnes blanches,
    Marbres de volonté, de force...

  • Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
    Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
    Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,
    Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.

    Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte,
    Se sont tendus et...