Émile Verhaeren

  • Pour nous aimer des yeux,
    Lavons nos deux regards de ceux
    Que nous avons croisés, par milliers, dans la vie
    Mauvaise et asservie.

    L'aube est en fleur et en rosée
    Et en lumière tamisée
    Très douce ;
    On croirait voir de molles plumes
    D'argent et de...

  • Parmi l'étang d'or sombre
    Et les nénuphars blancs,
    Un vol passant de hérons lents
    Laisse tomber des ombres.

    Elles s'ouvrent et se ferment sur l'eau
    Toutes grandes, comme des mantes ;
    Et le passage des oiseaux, là-haut,
    S'indéfinise, ailes ramantes....

  • Dans son village, au pied des digues,
    Qui l'entourent de leurs fatigues
    De lignes et de courbes vers la mer,
    Le blanc cordier visionnaire
    A reculons, sur le chemin,
    Combine, avec prudence, entre ses mains,
    Le jeu tournant de fils lointains
    Venant vers...

  • Voici quinze ans déjà que nous pensons d'accord ;
    Que notre ardeur claire et belle vainc l'habitude,
    Mégère à lourde voix, dont les lentes mains rudes
    Usent l'amour le plus tenace et le plus fort.

    Je te regarde, et tous les jours je te découvre,
    Tant est intime...

  • Sitôt que nos bouches se touchent,
    Nous nous sentons tant plus clairs de nous-mêmes
    Que l'on dirait des Dieux qui s'aiment
    Et qui s'unissent en nous-mêmes ;

    Nous nous sentons le coeur si divinement frais
    Et si renouvelé par leur lumière
    Première
    Que l'...

  • Combien elle est facilement ravie
    Avec ses yeux d'extase ignée ;
    Elle, la douce et résignée
    Si simplement devant la vie.

    Ce soir, comme un regard la surprenait fervente
    Et comme un mot la transportait
    Au pur jardin de joie, où elle était
    Tout à la fois...

  • S'élargissaient, là-bas, les granges recouvertes,
    Aux murs, d'épais crépis et de blancs badigeons,
    Au faîte, d'un manteau de pailles et de joncs,
    Où mordaient par endroits les dents des mousses vertes.

    De vieux ceps tortueux les ascendaient, alertes,
    Luttant d'...

  • L'infini tout entier transparaît sous les voiles
    Que lui tissent les doigts des hivers radieux
    Et la forêt obscure et profonde des cieux
    Laisse tomber vers nous son feuillage d'étoiles.
    La mer ailée, avec ses flots d'ombre et de moire,
    Parcourt, sous les feux d'or, sa...

  • L'aube, l'ombre, le soir, l'espace et les étoiles ;
    Ce que la nuit recèle ou montre entre ses voiles,
    Se mêle à la ferveur de notre être exalté.
    Ceux qui vivent d'amour vivent d'éternité.

    Il n'importe que leur raison adhère ou raille
    Et leur tende, debout, sur...

  • Sur la route, près des labours,
    Le forgeron énorme et gourd,
    Depuis les temps déjà si vieux, que fument
    Les émeutes du fer et des aciers sur son enclume,
    Martèle, étrangement, près des flammes intenses,
    A grands coups pleins, les pâles lames
    Immenses de la...