Émile Verhaeren

  • En tes rêves, en tes pensées,
    En ta main souple, en ton bras fort,
    En chaque élan tenace où s'exerce ton corps
    La chance active est ramassée.

    Dis, la sens-tu, prête à bondir
    Jusques au bout de ton désir ?
    La sens-tu qui t'attend, et te guette et s'entête...

  • Vénus,
    La joie est morte au jardin de ton corps
    Et les grands lys des bras et les glaïeuls des lèvres
    Et les grappes de gloire et d'or,
    Sur l'espalier mouvant que fut ton corps,
    ont morts.

    Les cormorans des temps d'octobre ont laissé choir
    Plume à...

  • I

    Des buissons lumineux fusaient comme des gerbes ;
    Mille insectes, tels des prismes, vibraient dans l'air ;
    Le vent jouait avec l'ombre des lilas clairs,
    Sur le tissu des eaux et les nappes de l'herbe.
    Un lion se couchait sous des branches en fleurs ;
    Le...

  • Dans la cave très basse et très étroite, auprès
    Du soupirail prenant le jour au Nord, les jarres
    Laissaient se refroidir le lait en blanches mares
    Dans les rouges rondeurs de leur ventre de grès.

    Ou eût dit, à les voir dormir dans un coin sombre,
    D'énormes...

  • Tout seul,
    Que le berce l'été, que l'agite l'hiver,
    Que son tronc soit givré ou son branchage vert,
    Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine,
    Il impose sa vie énorme et souveraine
    Aux plaines.

    Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans...

  • On m'affirmait :
    " Partout où les cités de vapeurs s'enveloppent,
    Où l'homme dans l'effort s'exalte et se complaît,
    Bat le coeur fraternel d'une plus haute Europe.

    De la Sambre à la Ruhr, de la Ruhr à l'Oural,
    Et d'Allemagne en France et de France en Espagne...

  • Il faut admirer tout pour s'exalter soi-même
    Et se dresser plus haut que ceux qui ont vécu
    De coupable souffrance et de désirs vaincus :
    L'âpre réalité formidable et suprême
    Distille une assez rouge et tonique liqueur
    Pour s'en griser la tête et s'en brûler le coeur...

  • Tout ce qui vit autour de nous,
    Sous la douce et fragile lumière,
    Herbes frêles, rameaux tendres, roses trémières,
    Et l'ombre qui les frôle et le vent qui les noue,
    Et les chantants et sautillants oiseaux
    Qui follement s'essaiment,
    Comme des grappes de joyaux
    ...

  • Un silence souffrant pénètre au coeur des choses,
    Les bruits ne remuent plus qu'affaiblis par le soir,
    Et les ombres, quittant les couchants grandioses,
    Descendent, en froc gris, dans les vallons s'asseoir.

    Un grand chemin désert, sans bois et sans chaumières,
    ...

  • La plaine est morne, avec ses clos, avec ses granges
    Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,
    La plaine est morne et lasse et ne se défend plus,
    La plaine est morne et morte - et la ville la mange.

    Formidables et criminels,
    Les bras des machines...