Le dimanche, au Borgo, les femmes & les filles,
Lasses d’avoir, six jours, traîné sous des guenilles,
Étalent bravement un linge radieux ;
Ce n’est plus le costume éclatant des aïeux :
Quand le peuple vieillit, l’habit se décolore.
Pourtant le rouge vif les réjouit encore :
Elles font resplendir sur le brun de leur peau
Des fichus qu’on dirait...
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La Vie est triomphante & l’idéal est mort !
Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe,
Le cheval enivré du vainqueur broie & mord
Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce.Et nous, que la déroute a fait survivre, hélas !
Les pieds meurtris, les yeux baissés, la tête lourde,
Saignants, veules, fangeux, déshonorés & las,
Nous... -
Je n’aime pas les maisons neuves,
Leur visage est indifférent ;
Les anciennes ont l’air de veuves
Qui se souviennent en pleurant ;Les lézardes de leur vieux plâtre
Semblent les rides d’un vieillard,
Leurs vitres au reflet verdâtre
Ont comme un triste & bon regard !Leurs portes sont hospitalières,
Car ces barrières ont vieilli ;... -
Clorinde a des yeux clairs & froids comme l’acier,
Qu’indignent les aveux, qu’allument les mains jointes.
Elle habite l’orgueil comme un donjon princier ;
Et son regard, pareil au fer d’un justicier,
Sait plus loin dans les cœurs enfoncer mille pointes.Jane a les yeux profonds, obscurs comme les trous
Que sur les hauts remparts braquent les coulevrines... -
Eh quoi ! votre printemps sourit à mon automne,
Y pensez-vous, jeune beauté !
J’ai l’âge où les ardeurs ont besoin d’une tonne ;
Il faut à boire à ma gaîté.Coupe en main, vous plaît-il de me...
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L’aspiration est pareille
À l’oiseau, vautour ou condor,
Qui plane dans l’aube vermeille,
Dans les nuits & les couchants d’or.On aime ensemble & l’on redoute
Cet oiseau fauve au bec de fer
Qui sait se creuser une route
Dans la nuée & dans l’éclair.Celui qui l’ignore le nomme
Roc ou Phénix, & n’y croit pas ;
... -
Cette nuit-là, le vent, par tonnantes saccades,
D’un bout à l’autre bout de l’horizon roulait,
Et les nuages bas s’effondraient en cascades.Nuit lugubre. Parfois un éclair violet,
Bref comme un coup de fouet, cinglait les vastes ombres :
Alors le long Volga, fugace, étincelait ;Car c’était dans les bois & dans les steppes sombres
Où Blèda,... -
Qui donc frappe à cette heure ? — Un voyageur si las
Qu’il ne pourrait pas faire un pas de plus. — Hélas !
Entre, j’ai vu l’appel que ton bras faible agite ;
Et dis ce qu’il te faut, tu l’auras. — Rien qu’un gîte,
Rien qu’un lit. — Mais d’abord qu’un feu clair & vermeil
Te ranime ; tu dois avoir froid ? — J’ai sommeil,
Je veux un lit. — Le lit t’est... -
Le front a des blancheurs mates de cire vierge,
Car il est ignorant des choses du Malin,
Et l’âme transparaît sous la robe de lin
Comme à travers l’albâtre une flamme de cierge.Le pied, chaussé de vair, de l’arabesque émerge,
Et la nuque, appuyée au nimbe d’argent fin,
Se redresse extatique. En marge du vélin
On lit un nom de reine, Ingeburge ou... -
La Satiété dort au fond de vos grands yeux ;
En eux plus de désirs, plus d’amour, plus d’envie ;
Ils ont bu la lumière, ils ont tari la vie,
Comme une mer profonde où s’absorbent les cieux.Sous leur bleu sombre, on lit le vaste ennui des Dieux,
Pour qui toute chimère est d’avance assouvie,
Et qui, sachant l’effet dont la cause est suivie,
Mélangent...