La Vie est triomphante & l’idéal est mort !
Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe,
Le cheval enivré du vainqueur broie & mord
Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce.
Et nous, que la déroute a fait survivre, hélas !
Les pieds meurtris, les yeux baissés, la tête lourde,
Saignants, veules, fangeux, déshonorés & las,
Nous allons, étouffant mal une plainte sourde.
Nous allons, au hasard du soir & du chemin,
Comme les meurtriers & comme les infâmes,
Veufs, orphelins, sans fils, ni toit, ni lendemain,
Aux lueurs des forêts familières en flammes.
Ah ! puisque cette fois l’heure a sonné, qu’enfin
L’espoir est aboli, la défaite certaine,
Et que l’effort le plus énorme serait vain,
Et puisque c’en est fait, même de notre haine,
Nous n’avons plus, à l’heure où tombera la nuit,
Abjurant tout risible espoir de funérailles,
Qu’à nous laisser mourir obscurément, sans bruit,
Comme il sied aux vaincus des suprêmes batailles.
— … Une faible lueur palpite à l’horizon,
Et le vent glacial qui se lève redresse
La cime des forêts & les fleurs du gazon,
C’est l’aube ! Tout renaît sous sa froide caresse.
De fauve, l’Orient devient rose, & l’argent
Des astres va bleuir dans l’azur qui se dore ;
Le coq chante, veilleur exact & diligent,
L’alouette a volé stridente : c’est l’aurore !
Éclatant, le soleil surgit : c’est le matin,
Amis, c’est le matin splendide dont la joie
Heurte ainsi notre lourd sommeil, & le festin
Horrible des oiseaux & des fauves de proie.
O prodige ! en nos cœurs le frisson radieux
Met, à travers l’éclat subit de nos cuirasses,
Avec un violent désir de mourir mieux,
La colère & l’orgueil anciens des bonnes races.
Allons, debout, allons, allons, debout, debout !
Assez comme cela de hontes & de trêves !
Au combat ! au combat ! car notre sang qui bout
A besoin de fumer sur la pointe de glaives !