Le Parnasse contemporain/1869/L’Amour anacréontique

Eh quoi ! votre printemps sourit à mon automne,
Y pensez-vous, jeune beauté !
J’ai l’âge où les ardeurs ont besoin d’une tonne ;
Il faut à boire à ma gaîté.

Coupe en main, vous plaît-il de me servir l’ivresse ?
Complotez donc avec le vin.
Osez dans le breuvage infuser la maîtresse ;
Je vous devrai le feu divin.

D’abord me préparant des vendanges vermeilles,
Secondez la chaleur des cieux :
Rivale du soleil, surveillez l’or des treilles,
Que les fruits gonflent sous vos yeux.

Puis de vos blondes mains, sous les jaunes ramures,
Cueillez vous-même, & grain à grain ;
De vos doigts effilés, touchez aux rondeurs mûres,
Comme aux perles de votre écrin.

Et soulevant les plis de la jupe en révolte,
Plus qu’à mi-jambe retenus,
Dans la cuve foulez la juteuse récolte,
En bacchante, avec des pieds nus.

Que ma coupe soit belle à l’heure où le vin coule !
A vous d’en donner le dessin.
Qu’un métal assoupli discrètement la moule
Sur le galbe de votre sein.

Avant de me l’offrir, que votre lèvre y touche !
Pour qu’en m’abreuvant à longs traits,
Je baise humide encor l’endroit de votre bouche
Sur la forme de vos attraits.

Ivre alors, j’oublierai que mes cheveux grisonnent ;
Je serai vieux, comme à Téos
Le sage Anacréon, dont les vers déraisonnent
Pour avoir bu le vin d’Éros.

Collection: 
1971

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