• I

    Vois, mignonne ! tes sœurs aimées,
    Ces fraîches fleurs dont le matin
    Remplit de larmes embaumées
    Les blanches urnes de satin...
    Elles sont l'image légère,
    Le frêle emblème du bonheur :
    La fleur, hélas ! est éphémère,
    Et le bonheur est une fleur !

    II

    De leur parure dépouillées,
    Penchant languissamment leur front,
    Par...

  •  

    RESTE. Ne t’en va pas dans le jardin du rêve
    Cueillir des fleurs de joie en la lumière d’or ;
    Leur splendeur est fragile et leur odeur est brève :
    Si ta main s’en embaume, hélas ! c’est de leur mort.

    Oui, rien qu’à les toucher ta main dure les blesse ;
    Son froid contact meurtrit leur idéalité,
    Et c’est en épargnant leur divine faiblesse
    Que...

  •  

    QUEL beau temps ! Il faisait bon vivre...
    Dans la rue où j’allais rêvant,
    Deux vieux croque-morts, d’un pas ivre,
    Trimbalaient un cercueil d’enfant.

    Aucun cortège en deuil. Personne.
    On l’emportait comme un paquet...
    Sur le drap blanc, pas de couronne,
    Pas un pauvre petit bouquet.

    C’était navrant. Ma rêverie
    ...

  • Quand sous la majesté du Maître qu'elle adore
    L'âme humaine a besoin de se fondre d'amour,
    Comme une mer dont l'eau s'échauffe et s'évapore,
    Pour monter en nuage à la source du jour;

    Elle cherche partout dans l'art, dans la nature,
    La vase le plus saint pour brûler l'encens.
    Mais pour l'être innommé quelle coupe assez pure?
    Et quelle âme ici-bas n'a...

  •  

    À Monsieur Ernest Legouvé.

    Ravi des souvenirs clairs de l’eau dont s’abreuve
    La terre, j’ai conçu cette chanson du Fleuve.

    Derrière l’horizon sans fin, plus loin, plus loin
    Les montagnes, sur leurs sommets que nul témoin
    N’a vus, condensent l’eau que le vent leur envoie.
    D’où le glacier, sans cesse accru, mais qui se broie
    Par...

  •  
    Emporte dans tes yeux la couleur de ses eaux.
    Soit que son onde lasse aux sables se répande
    Ou que son flot divers, mine, contourne ou fende
    La pierre qui résiste ou cède à ses travaux ;

    Car, sonore aux rocs durs et plaintif aux roseaux,
    Le fleuve, toujours un, qu’il gémisse ou commande,
    Dirige par le val et conduit par la lande
    La bave des...

  •  
    Vous, ne révélez point la destinée ultime,
    O défunts dans la nuit pêle-mêle noyés !
    Dieu seul peut suivre au loin jusqu’à l’extrême abîme
    Le fleuve entier des morts qui roule sous nos pieds.

    Les beaux yeux, les grands cœurs et les fronts pleins de rêve,
    Les couples escortant Juliette et Roméo,
    Tous les restes humains vers la brumeuse grève
    ...

  • Et laissant à son ire ouverte la barrière,
    Ainsi sur ce chasseur fit feu de son fusil :

            “ Membre orgueilleux de cette race errante
    Qui va de lieux en lieux promener l’épouvante,
    Et dont le grand exploit digne en tout d’un badaud
            Est d’assassiner un levraut !
    Garde-toi de tirer ici ton espingole ;
    Au large !… va plus loin, porter ta...

  • Le fleuve du temps dans son emportement
    Éparpille au loin les œuvres des Hommes
    Et noie dans l’abîme de l’oubli
    Tous les peuples, les royaumes et leurs rois
    Et si quelque chose doit subsister
    Par le son du cor et de la lyre
    Le gouffre de l’éternité le dévorera
    Du destin commun il n’échappera pas

  •  
    ... Et quos fumantia torquens
    Aequora, gurgitibus Phlogethon perlustrat anhelis.
    C. CLAUDIANI de raptu Proserpinae.

    Ce n’est pas, tel qu’Orphée, en héros de l’Amour
    Que j’ai, bravant l’Érèbe et devançant la Moire,
    Sans obole, passé le fleuve sans mémoire
    Dont l’onde bat sans bruit la rive sans retour.

    J’...