Le Fleuve

Et laissant à son ire ouverte la barrière,
Ainsi sur ce chasseur fit feu de son fusil :

        “ Membre orgueilleux de cette race errante
Qui va de lieux en lieux promener l’épouvante,
Et dont le grand exploit digne en tout d’un badaud
        Est d’assassiner un levraut !
Garde-toi de tirer ici ton espingole ;
Au large !… va plus loin, porter ta gloriole.
Bien que ton œil sur moi s’abaisse avec dédain,
        Je vaut mieux que toi, c’est certain.
Nature en te marquant au coin de la sottise
        A pronostiqué ta bêtise.
Quels sont tes soins ici ? Conserver le gibier !…
        Et dans quel but ? vilain avare !
Sinon de par tes mains le détruire en entier !
        Car, entre nous, ta vie est une tare.
        Pourquoi vis-tu ? Mon Dieu, c’est avéré.
Pour opprimer le pauvre, et flouer le curé,
        Pour te vautrer trop souvent dans l’orgie,
Et du vice en un mot être l’apologie.
Oui, voilà les hauts faits de ta virilité !
C’est curieux trouver, le dis en vérité,
Sur le sol varié de l’immense nature,
Une plante, l’Orchis à l’homme d’aventure
        Ressembler par plus d’un côté ;
Mais c’est honteux de voir de culbute en culbute
L’homme tomber si bas dans sa perversité,
Qu’à la plante il ressemble en mal la pauvre brute ! ”

Oh ! fleuve ! oh ! charmant fleuve ! oh ! charmant petit fleuve !
Tu miroites gaiement en faisant ton chemin,
Dansant sur les cailloux comme un malin gamin,
Qui joue insouciant, sans soin du lendemain,
                  Et sans que rien jamais l’émeuve !


Oh ! fleuve ! oh ! jeune fleuve ! oh ! capricieux fleuve !
Qui te gonfles sans cesse, en suivant ton chemin,
Et rapide et strident, écrasant tout enfin
Et la rose et le roc, le cytise et l’airain
                  Comme la jeunesse trop neuve !

Fleuve ! oh ! fleuve à bords plein ! oh ! large et profond fleuve !
Ainsi que le vieux Temps tranquille, et cependant
Toujours en mouvement, toujours, toujours tendant
Vers l’océan sans borne, y marchant tout ardent
                  Comme l’homme cherchant l’épreuve !

Oh ! fleuve turbulent ! oh ! trop rapide fleuve !
Tu t’en vas maintenant, tu t’en vas à l’écueil.
Aussi vif, aussi prompt que le vif écureuil,
Ainsi que l’homme aussi court après le cercueil
                  En quête d’existence neuve !

“ Oh ! fleuve impétueux ! oh ! casse-cou de fleuve
Tu t’en vas en courant, tu t’en vas à la mer,
Un abîme insondé, dont le flot est amer,
Et que l’on peut nommer la porte de l’enfer…
                  Oh l’Espérance même est veuve !

Du charme de l’Esprit rien n’égale la grâce,
C’est la beauté du cœur, beauté que rien n’efface,
        Ni le malheur, ni l’âge, ni le temps,
                Beauté toujours dans son printemps,
        Du vrai génie étincelle électrique,
                Son feu sacré se communique
        D’un pôle à l’autre ; il est plus d’un bon mot
Qui sur l’aile du vent, qui sur l’aile du flot,
Sans passeport aucun, s’en va faire la nique
À l’abus qui grossit, et même à la critique ;
Et va narguer les sots qui sous des noms divers
                Pullulent dans cet univers,

Collection: 
1794

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