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    I

    C’est encore une année en fuite et qui s’enfonce,
    Et qui va s’éteignant dans l’âtre avec la cendre ;
    La chambre se recueille et toute elle se fonce ;
    Et les reflets, dans le miroir, semblent descendre.

    La bûche lentement dans l’âtre se consume ;
    La chambre songe, encore un peu enluminée
    Par la bûche qui est déjà presque posthume,
    ...

  • Mes souvenirs sont si nombreux
    Que ma raison n'y peut suffire.
    Pourtant je ne vis que par eux,
    Eux seuls me font pleurer et rire.
    Le présent est sanglant et noir ;
    Dans l'avenir qu'ai-je à poursuivre ?
    Calme frais des tombeaux, le soir !...
    Je me suis trop hâté de vivre.

    Amours heureux ou malheureux,
    Lourds regrets, satiété pire,
    ...

  • Quand l'être cher vient d'expirer,
    On sent obscurément la perte,
    On ne peut pas encor pleurer :
    La mort présente déconcerte ;

    Et ni le lugubre drap noir,
    Ni le dies irae farouche,
    Ne donnent forme au désespoir :
    La stupeur clôt l'âme et la bouche.

    Incrédule à son propre deuil,
    On regarde au fond de la tombe,
    Sans rien comprendre à...

  • Quand je mourrai, ce soir peut-être,
    Je n'ai pas de jour préféré,
    Si je voulais, je suis le maître,
    Mais... ce serait mal me connaître,
    N'importe, enfin, quand je mourrai.

    Mes chers amis, qu'on me promette
    De laisser le bois... au lapin,
    Et, s'il vous plaît, qu'on ne me mette
    Pas, comme une simple allumette,
    Dans une boîte de sapin ;...

  • Je te reviens, ô paroisse natale.
    Patrie intime où mon coeur est resté ;
    Avant d'entrer dans la nuit glaciale,
    Je viens frapper à ton seuil enchanté.

    Pays d'amour, en vain j'ai fait la route
    Pour saluer encore ton ciel bleu,
    Mon oeil se mouille et ma chair tremble toute,
    Je viens te dire un éternel adieu.

    Oh ! couchez-moi dans la tombe...

  • Mon seul amour ! embrasse-moi.
    Si la mort me veut avant toi,
    Je bénis Dieu ; tu m'as aimée !
    Ce doux hymen eut peu d'instants :
    Tu vois ; les fleurs n'ont qu'un printemps,
    Et la rose meurt embaumée.
    Mais quand, sous tes pieds renfermée,
    Tu viendras me parler tout bas,
    Crains-tu que je n'entende pas ?

    Je t'entendrai, mon seul amour !
    ...

  • Il est un arbre au cimetière
    Poussant en pleine liberté,
    Non planté par un deuil dicté, -
    Qui flotte au long d'une humble pierre.

    Sur cet arbre, été comme hiver,
    Un oiseau vient qui chante clair
    Sa chanson tristement fidèle.
    Cet arbre et cet oiseau c'est nous :

    Toi le souvenir, moi l'absence
    Que le temps - qui passe - recense...
    ...

  • J'ai vécu, je suis mort. - Les yeux ouverts, je coule
    Dans l'incommensurable abîme, sans rien voir,
    Lent comme une agonie et lourd comme une foule.

    Inerte, blême, au fond d'un lugubre entonnoir
    Je descends d'heure en heure et d'année en année,
    À travers le Muet, l'Immobile, le Noir.

    Je songe, et ne sens plus. L'épreuve est terminée.
    Qu'est-ce donc...

  • Bien au delà des jours, des Ans multipliés,
    Du vertige des Temps dont la fuite est sans trêve,
    Voici ce que j'ai vu, dans l'immuable rêve
    Qui me hante, depuis les songes oubliés.

    J'errais, seul, sur la Terre. Et la Terre était nue.
    L'ancien gémissement de ce qui fut vivant,
    Le sanglot de la mer et le râle du vent
    S'étaient tus à jamais sous l'...

  • Toi, vertu, pleure si je meurs !
    ANDRÉ CHÉNIER.


    Amis, un dernier mot ! - et je ferme à jamais
    Ce livre, à ma pensée étranger désormais.
    Je n'écouterai pas ce qu'en dira la foule.
    Car, qu'importe à la source où son onde s'écoule ?
    Et que m'importe, à moi, sur l'avenir penché,
    Où va ce vent d'automne au souffle desséché
    Qui passe, en...