René-François Sully Prudhomme

  • Comme un verre intact, avant l'heure
    Où le remplira l'échanson,
    Au plus léger coup qui l'effleure
    Vibre d'un sonore frisson,

    Mais pour la fugitive atteinte
    N'a plus de soupir cristallin,
    Et ne tressaille ni ne tinte
    Sans aucun heurt dès qu'il est...

  • Dans les serres silencieuses
    Où l'hiver invite à s'asseoir,
    Sous un jour blême comme un soir
    Fument les plantes précieuses.

    L'une, raide, élançant tout droit
    Sa tige aux longues feuilles sèches,
    Darde au plafond, comme des flèches,
    Les pointes d'un calice...

  • La mer pousse une vaste plainte,
    Se tord et se roule avec bruit,
    Ainsi qu'une géante enceinte
    Qui des grandes douleurs atteinte,
    Ne pourrait pas donner son fruit ;

    Et sa pleine rondeur se lève
    Et s'abaisse avec désespoir.
    Mais elle a des heures de trêve...

  • Quand on est sous l'enchantement
    D'une faveur d'amour nouvelle,
    On s'en défendrait vainement,
    Tout le révèle :

    Comme fuit l'or entre les doigts,
    Le trop-plein de bonheur qu'on sème,
    Par le regard, le pas, la voix,
    Crie : elle m'aime !

    Quelque...

  • Nature, accomplis-tu tes oeuvres au hasard,
    Sans raisonnable loi ni prévoyant génie ?
    Ou bien m'as-tu donné par cruelle ironie
    Des lèvres et des mains, l'ouïe et le regard ?

    Il est tant de saveurs dont je n'ai point ma part,
    Tant de fruits à cueillir que le sort me...

  • Pour peu que votre image en mon âme renaisse,
    Je sens bien que c'est vous que j'aime encor le mieux.
    Vous avez désolé l'aube de ma jeunesse,
    Je veux pourtant mourir sans oublier vos yeux,

    Ni votre voix surtout, sonore et caressante,
    Qui pénétrait mon coeur entre...

  • Je rêve, et la pâle rosée
    Dans les plaines perle sans bruit,
    Sur le duvet des fleurs posée
    Par la main fraîche de la nuit.

    D'où viennent ces tremblantes gouttes ?
    Il ne pleut pas, le temps est clair ;
    C'est qu'avant de se former, toutes,
    Elles...

  • Un oiseau solitaire aux bizarres couleurs
    Est venu se poser sur une enfant ; mais elle,
    Arrachant son plumage où le prisme étincelle,
    De toute sa parure elle fait des douleurs ;

    Et le duvet moelleux, plein d'intimes chaleurs,
    Épars, flotte au doux vent d'une...

  • Dans un flot de gaze et de soie,
    Couples pâles, silencieux,
    Ils tournent, et le parquet ploie,
    Et vers le lustre qui flamboie
    S'égarent demi-clos leurs yeux.

    Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
    Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,...

  • Pendant avril et mai, qui sont les plus doux mois,
    Les couples, enchantés par l'éther frais et rose,
    Ont ressenti l'amour comme une apothéose ;
    Ils cherchent maintenant l'ombre et la paix des bois.

    Ils rêvent, étendus sans mouvement, sans voix ;
    Les coeurs...