Le dernier souvenir

J'ai vécu, je suis mort. - Les yeux ouverts, je coule
Dans l'incommensurable abîme, sans rien voir,
Lent comme une agonie et lourd comme une foule.

Inerte, blême, au fond d'un lugubre entonnoir
Je descends d'heure en heure et d'année en année,
À travers le Muet, l'Immobile, le Noir.

Je songe, et ne sens plus. L'épreuve est terminée.
Qu'est-ce donc que la vie ? Étais-je jeune ou vieux ?
Soleil ! Amour ! - Rien, rien. Va, chair abandonnée !

Tournoie, enfonce, va ! Le vide est dans tes yeux,
Et l'oubli s'épaissit et t'absorbe à mesure.
Si je rêvais ! Non, non, je suis bien mort. Tant mieux.

Mais ce spectre, ce cri, cette horrible blessure ?
Cela dut m'arriver en des temps très anciens.
Ô nuit ! Nuit du néant, prends-moi ! - La chose est sûre :

Quelqu'un m'a dévoré le coeur. Je me souviens.

Collection: 
1856

More from Poet

  • (Études latines, X)

    Offre un encens modeste aux Lares familiers,
    Phidylé, fruits récents, bandelettes fleuries ;
    Et tu verras ployer tes riches espaliers
    Sous le faix des grappes mûries.

    Laisse, aux pentes d'Algide, au vert pays Albain,
    La brebis, qui promet...

  • La lune sous la nue errait en mornes flammes,
    Et la tour de Komor, du Jarle de Kemper,
    Droite et ferme, montait dans l'écume des lames.

    Sous le fouet redoublé des rafales d'hiver
    La tour du vieux Komor dressait sa masse haute,
    Telle qu'un cormoran qui regarde la...

  • Tandis qu'enveloppé des ténèbres premières,
    Brahma cherchait en soi l'origine et la fin,
    La Mâyâ le couvrit de son réseau divin,
    Et son coeur sombre et froid se fondit en lumières.

    Aux pics du Kaîlaça, d'où l'eau vive et le miel
    Filtrent des verts figuiers et des...

  • Je pâlis et tombe en langueur :
    Deux beaux yeux m'ont blessé le coeur.

    Rose pourprée et tout humide,
    Ce n'était pas sa lèvre en feu ;
    C'étaient ses yeux d'un si beau bleu
    Sous l'or de sa tresse fluide.

    Je pâlis et tombe en langueur :
    Deux beaux yeux m'...

  • Sur la montagne aux sombres gorges
    Où nul vivant ne pénétra,
    Dans les antres de Lipara
    Hèphaistos allume ses forges.

    Il lève, l'illustre Ouvrier,
    Ses bras dans la rouge fumée,
    Et bat sur l'enclume enflammée
    Le fer souple et le dur acier.

    Les...