Rimes familières/Le Japon

 
Rêve de laque et d’or, le Japon merveilleux,
Planète inaccessible, étonnement des yeux,
Brillait là-bas. Ce qu’il accomplissait naguère,
Aucun peuple n’a su ni ne saura le faire ;
C’était surnaturel à force d’être exquis ;
Son génie éclatait dans le moindre croquis.
Il avait sa façon de comprendre les choses ;
Les oiseaux, les poissons, l’arbre, les lotus roses.

La lune même, avaient des aspects inconnus
Dans son art fantastique et vrai pourtant. Corps nus,
Ou vêtus comme nul n’est vêtu sur la terre,
Les Japonais vivaient gaîment et sans mystère
Dans leurs maisons de bois aux cloisons de papier.
Nourris d’un peu de riz, exerçant un métier,
Ils travaillaient sans hâte, en riant ; leur envie
Se bornait simplement à jouir de la vie,
À cultiver des fleurs, à charmer leurs regards
Par tous ces bibelots qu’avaient créés leurs arts.
Ils poétisaient tout ; chez eux les hétaïres,
Adorables, étaient « marchandes de sourires ».
De l’Extrême-Orient ils étaient l’Orient,
Et la Chine pour eux n’était que l’Occident.

Ils sont las d’être heureux ! Il leur faut l’Industrie,
Le labeur écrasant, la machine qui crie,
Siffle, obscurcit l’azur de ses noires vapeurs,
Nos costumes sans goût, sans formes, sans couleurs,

Notre vulgarité, nos chapeaux impossibles,
Nos pantalons, nos arts frelatés et nos bibles.
Ils étaient jolis dans leurs habits japonais ;
Sous nos accoutrements ils veulent être laids.
Leurs femmes, d’élégance et de grâce prodiges,
Étaient comme des fleurs se penchant sur leurs tiges ;
Elles pouvaient au monde imposer leurs atours,
Changer l’axe du beau, le thème des amours !
Mais telle qui traînait des robes de déesse
Avec nos falbalas n’est plus qu’une singesse.
C’en est fait ! du Japon il faut faire son deuil,
Tuer l’illusion et clouer son cercueil.
« L’Empire du Soleil Levant » n’est plus qu’un trope ;
C’est l’Extrême-Occident, le singe de l’Europe !

Collection: 
1890

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