Rimes familières/À M. Gabriel Fauré

 
Ah ! tu veux échapper à mes vers, misérable !
                        Tu crois les éviter.
Ils sont comme la pluie : il n’est ni Dieu ni Diable
                        Qui les puisse arrêter.

Ils iront te trouver, franchissant les provinces
                        Et les départements,
Ainsi que l’hirondelle avec ses ailes minces
                        Bravant les éléments.

Si tu fermes ta porte, alors par la fenêtre
                        Ils te viendront encor,
Étincelants, cruels, comme de la Pharètre
                        Sortent des flèches d’or ;

Et tu seras criblé de rimes acérées
                        Pénétrant jusqu’au cœur ;
Et tu pousseras des clameurs désespérées
                        Sans calmer leur fureur.

Pour te défendre, Aulète à l’oreille rebelle,
                        Tu brandiras en vain
Du dieu Pan qui t’a fait l’existence si belle
                        La flûte dans ta main.

Elle rend sous ta lèvre experte et charmeresse
                        Un son voluptueux
Qui nous donne parfois l’inquiétante ivresse
                        D’un parfum vénéneux ;

Des accords savoureux, inouïs, téméraires,
                        Semant un vague effroi,
Apportant un écho des surhumaines sphères,
                        Inconnus avant toi.

Mais l’essaim de mes vers, tourbillonnant, farouche,
                        Sur elle s’abattra,
Obstruant les tuyaux ; le sens deviendra louche
                        Des sons qu’elle émettra ;

Puis, jouet inutile entre tes mains d’athlète,
                        La flûte se taira.
O vengeance terrible et dont l’ingrat poète
                        Le premier gémira !

Car, pour lui, le retour de la rose ingénue
                        Après l’hiver méchant,
Après un jour brûlant la fraîcheur revenue
                        Ne valent pas ton chant !

Collection: 
1890

More from Poet

  •  
    La mer tente ma lyre avec ses épouvantes,
    Ses caresses de femme et ses goëmons verts.
    O mer trois fois perfide ! alors que tu me hantes
    Sur mon indignité j’ai les yeux grands ouverts.

    Je pourrais comme un autre en alignant des rimes
    Dire ton glauque azur...

  •  
    Gloire de la Musique et de la Tragédie,
    Muse qu’un laurier d’or couronna tant de fois,
    Oserai-je parler de vous, lorsque ma voix
    Au langage des vers follement s’étudie ?

    Les poètes guidés par Apollon vainqueur
    Ont seuls assez de fleurs pour en faire une...

  •  
    Pierre, je t’ai vu naître et de ta jeune gloire
    J’aimerais à fêter les lauriers radieux.
    D’où vient donc ton silence et quelle est l’humeur noire
    Qui fait plier ton aile et te ferme les cieux ?

    Je la connais ; je sais qu’une triste chimère
    A toujours...

  •  
    Jeune homme heureux à qui tout sourit dans la vie,
    Garde bien ton bonheur !
    Tu n’as jamais connu la haine ni l’envie ;
    La paix est dans ton cœur....

  •  
    Ah ! tu veux échapper à mes vers, misérable !
                            Tu crois les éviter.
    Ils sont comme la pluie : il n’est ni Dieu ni Diable
                            Qui les puisse arrêter.

    Ils iront te trouver, franchissant les provinces...