Pierre, je t’ai vu naître et de ta jeune gloire
J’aimerais à fêter les lauriers radieux.
D’où vient donc ton silence et quelle est l’humeur noire
Qui fait plier ton aile et te ferme les cieux ?
Je la connais ; je sais qu’une triste chimère
A toujours assombri ton âme. La Vertu
Que tu voulais chanter dans ton désir austère
A mis son doigt glacé sur ton luth : il s’est tu.
La Vertu ! que le ciel me garde d’en médire !
Il n’est rien de si beau, de si grand à mes yeux.
Mais—(mieux que moi ton père est là pour t’en instruire)
On la célèbre mal dans la langue des dieux.
Quand Homère chantait la colère d’Achille,
Quand Horace effeuillait des roses sur le vin,
Sur la reine Didon lorsque pleurait Virgile
Inventant pour la plaindre un langage divin,
Nul d’entre eux ne songeait à réformer le monde ;
Poètes, ils faisaient des vers, comme en été
L’abeille cherche dans la corolle profonde
Son miel dont la saveur est une volupté.
Rouvre ton aile, ami ! sois digne de ta race !
De corriger les mœurs ne va pas te flatter.
Le feu de la Jeunesse est la lave qui passe,
Et des sermons rimés ne peuvent l’arrêter.
Chante l’astre, la fleur, les bois, la mer si belle,
Les splendeurs de la Femme et les malheurs des Rois,
Le tout-puissant Amour, la Vengeance cruelle,
Et non le pot-au-feu d’un ménage bourgeois !
Sois poète : tes doigts savent toucher la Lyre ;
Ils ont eu les leçons d’une savante main.
Oh ! comme il me sera délicieux de lire
Le volume de vers que tu feras demain !