Jeune homme heureux à qui tout sourit dans la vie,
Garde bien ton bonheur !
Tu n’as jamais connu la haine ni l’envie ;
La paix est dans ton cœur.
Ta mère n’est plus là : mais ton père est un frère
Et ta femme est un ciel ;
La coupe qui souvent n’a qu’une lie amère
Pour toi n’a que du miel.
Peut-être voudrais-tu guerroyer dans l’armée
Des conquérants de l’Art,
Et qu’un jour t’acclamant, pour toi la Renommée
Déployât l’étendard.
Imprudent ! fuis la route où son clairon résonne !
Elle mène à l’enfer.
Si la déesse au front nous met une couronne,
La couronne est de fer.
Tu connaîtras, hélas ! si ton char met sa roue
Dans ce chemin glissant,
L’ornière qui se creuse, et le froid sur ta joue
De l’Aquilon puissant !
Tu connaîtras les yeux menteurs, l’hypocrisie
Des serrements de mains,
Le masque d’amitié cachant la jalousie ;
Les pâles lendemains
De ces jours de triomphe où le troupeau vulgaire
Qui pèse au même poids
L’histrion ridicule et le génie austère
Vous met sur le pavois !
La Gloire est infidèle et c’est une maîtresse
Plus âpre que la mort.
Quand on a le bonheur, à quoi bon cette ivresse ?
Crains de tenter le Sort !
Je sais qu’on avertit en vain ceux que dévore
La soif de l’inconnu.
Si le soir est trompeur, souviens-toi qu’à l’aurore
Je t’avais prévenu.