Rimes familières/La Statue

 
Le sculpteur modèle l’argile ;
Puis, prenant le marbre indocile,
Le pétrit dans sa main habile
Avec un patient effort ;

Ou bien sous sa fière tutelle
Il soumet le bronze rebelle :
Si la matière en est moins belle,
Pour vaincre le temps il est fort ;

Et contre ce temps qui le tue
L’Homme en vain lutte et s’évertue,
Quand, bronze ou marbre, la statue
Immobile, impassible, voit

De son œil fixe et sans prunelle
Passer les siècles devant elle
Et s’avancer l’ombre éternelle
Qui sur le passé toujours croît.

Tristes autels où se consume
Un reste de tison qui fume,
Enfoncez-vous dans cette brume
Où le soleil ne luira plus !

Les dieux meurent : leurs temples vides
Sont comme ces déserts arides
Où frissonnaient jadis les rides
Des grands océans disparus ;

Mais l’Art a conservé l’image
Du dieu que vénérait le mage
Et que le fou comme le sage
Venait adorer en tremblant :

Ce n’est plus le dieu qu’on adore ;
C’est sa forme vivante encore,
C’est la Beauté, divine aurore
Sortant, pure, du marbre blanc !

Collection: 
1890

More from Poet

  •  
    La mer tente ma lyre avec ses épouvantes,
    Ses caresses de femme et ses goëmons verts.
    O mer trois fois perfide ! alors que tu me hantes
    Sur mon indignité j’ai les yeux grands ouverts.

    Je pourrais comme un autre en alignant des rimes
    Dire ton glauque azur...

  •  
    Gloire de la Musique et de la Tragédie,
    Muse qu’un laurier d’or couronna tant de fois,
    Oserai-je parler de vous, lorsque ma voix
    Au langage des vers follement s’étudie ?

    Les poètes guidés par Apollon vainqueur
    Ont seuls assez de fleurs pour en faire une...

  •  
    Pierre, je t’ai vu naître et de ta jeune gloire
    J’aimerais à fêter les lauriers radieux.
    D’où vient donc ton silence et quelle est l’humeur noire
    Qui fait plier ton aile et te ferme les cieux ?

    Je la connais ; je sais qu’une triste chimère
    A toujours...

  •  
    Jeune homme heureux à qui tout sourit dans la vie,
    Garde bien ton bonheur !
    Tu n’as jamais connu la haine ni l’envie ;
    La paix est dans ton cœur....

  •  
    Ah ! tu veux échapper à mes vers, misérable !
                            Tu crois les éviter.
    Ils sont comme la pluie : il n’est ni Dieu ni Diable
                            Qui les puisse arrêter.

    Ils iront te trouver, franchissant les provinces...