Rimes familières/Mea culpa

Meâ culpâ ! je m’accuse
De n’être point décadent.
Dans les fruits trop verts, ma Muse
N’ose pas mettre la dent.

Les gambades périlleuses
Ne sont pas de mon ressort :
Ces gaîtés sont dangereuses
Pour qui n’est pas assez fort.

La témérité m’enchante
Chez les jeunes imprudents ;
Mais tranquillement je chante,
Laissant passer les ardents.

Ils vont, rompant tous les câbles,
Franchissant tous les fossés,
Truffant d’étranges vocables
Les hémistiches cassés,

Et composent des salades
De couleurs avec des sons,
À faire tomber malades
Les strophes et les chansons.

Du diable si je m’y frotte !
Tout ça n’est pas pour mon nez ;
On m’enverrait à la hotte
Avec les journaux mort-nés.

Je deviendrais vite aphone,
Si j’allais en étourdi
M’égosiller comme un Faune
Fêtant son après-midi.

Laissons tous ces jeux d’adresse
À l’érudit, au savant.
Ce qui siérait à l’Altesse
Ne vaut rien pour le manant.

Collection: 
1890

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