• Toi qui devrais bondir sur la mer, ô frégate !
    À travers la mitraille & les flots irrités,
    Quel triste sort te rive aux pierres des cités,
    Et te pend une enseigne au front, comme un stigmate ?

    Morne, ainsi qu’un oiseau retenu par la patte,
    Tu regrettes l’azur & les immensités.
    Le bourgeois se prélasse en tes flancs attristés,
    Et ta quille a...

  • L’impérissable orgueil de mon cœur vient de celle
    Qui daigna sur mon cœur poser son pied divin
    Très-fort & très-longtemps, afin qu’il se souvînt :
    — Depuis, je n’ai connu la douleur que par elle.

    Car j’ai souffert des maux qu’elle n’espérait pas.
    Fier du sillon saignant qu’elle ouvrit dans mon être
    Et qui des Dieux jaloux me fera reconnaître :
    — O...

  • Quand celle dont la grâce en mon âme est empreinte
    M’a dit, un peu craintive & riant de sa crainte,
    Qu’elle s’était piquée au doigt : « Tenez, voyez ! »
    Lorsque j’ai vu, parmi ses autres doigts ployés,
    A l’annulaire qui dans ma main tremble & bouge,
    Une goutte de sang perler brillante & rouge,
    Avant que mon esprit troublé ne raisonnât,
    Mes...

  • Un savant visitait l’Égypte ; ayant osé
    Pénétrer dans l’horreur des chambres violettes
    Où les vieux rois thébains, en de saintes toilettes,
    Se couchaient sous le roc profondément creusé,

    Il vit un petit pied de femme, mais brisé
    Par des Bédouins voleurs de riches amulettes.
    Le baume avait saigné le long des bandelettes,
    Le henné ravivait les doigts d’...

  • Canut, dominateur du vaste océan noir,
    Souverain absolu de toute l’Angleterre,
    Conquérant redouté des princes de la terre,
    Canut sur le rivage une fois vint s’asseoir.

    En présence des grands il se mit là pour voir
    Si la puissance humaine était une chimère,
    Un souffle, une fumée, un nuage éphémère.
    Le sage apprit bientôt ce qu’il voulait savoir ;

    ...
  • La lisière du bois suit le petit chemin
    D’ocre jaune, où tout pli rit d’une graminée.
    La pente, pleine d’air, est comme illuminée
    D’un lever d’ailes d’or, de soufre & de carmin.

    Vrilles des liserons glissant leur verte main,
    Éphémères d’un soir ou d’une matinée ;
    Toute la flore exquise, humble, indéterminée
    De l’herbe, amours d’hier, semences de...

  • Ô Méditerranée, ô mer tiède, ô mer calme,
    Grand lac que sans effroi traversent les oiseaux,
    Les aiguilles des pins d’Italie & la palme
    Vibrent dans la clarté limpide de tes eaux.

    Tes golfes dentelés ont de divins caprices,
    Ton éclatant rivage a des cailloux d’argent,
    Et la voile latine erre sur tes flots lisses,
    Charmante comme un cygne immobile...

  • Le contour des objets tremble. Le jour recule.
    Les horizons sont plus prochains au crépuscule,
    Et la colline semble un navire qui va…
    Voici l’heure féerique où tout ce qu’on rêva
    D’étrange reparaît tout à coup dans les choses :

    L’arbre noueux se tord en de bizarres poses ;
    Un frisson court. Les bruits ressemblent à des voix ;
    L’horreur sacrée emplit...

  • Tiède du souvenir des occidents vermeils,
    La nuit sur les coteaux palpite immense & bonne.
    Elle est comme la mer : un vent d’aile y frissonne ;
    Leur couleur est semblable & leurs bruits sont pareils.

    Le sein large & profond qui porte les soleils,
    Où le flot incessant des univers rayonne,
    Est indulgent & n’a d’embûches pour personne,
    Et...

  • Nous aimons à rôder sur la place Navone.
    Ah ! le pied n’y bat point l’asphalte monotone,
    Mais un rude pavé, houleux comme une mer.
    Des maraîchers y font leurs tentes tout l’hiver,
    Et les enfants, l’été, s’ébattent dans l’eau bleue,
    Sous le triton qui tient un dauphin par la queue.
    Au beau milieu surgit un chaos où l’on voit
    Dans un antre de pierre un...