Le Parnasse contemporain/1869/La Gloire du souvenir

L’impérissable orgueil de mon cœur vient de celle
Qui daigna sur mon cœur poser son pied divin
Très-fort & très-longtemps, afin qu’il se souvînt :
— Depuis, je n’ai connu la douleur que par elle.

Car j’ai souffert des maux qu’elle n’espérait pas.
Fier du sillon saignant qu’elle ouvrit dans mon être
Et qui des Dieux jaloux me fera reconnaître :
— O gloire ! j’ai servi de poussière à ses pas !

Et je reste meurtri, loin de la route ailée
Où sa course égarait le caprice des cieux.
Meurtri, vide, & pareil à l’air silencieux
Que brûle encor le vol d’une étoile envolée.

Sidérale blancheur du front pur qui vers moi
Pencha du firmament la lumière sacrée,
Vision tout entière en mon cœur demeurée,
L’impérissable orgueil de mon cœur vient de toi.

Je dirai ta beauté perdue à ceux qu’offense
La superbe de ma douleur,
Ton front marmoréen, éternelle pâleur !
Ton sourire, éternelle enfance !

Et tes yeux au regard magnétique & profond,
Pareils à des lampes nacrées
Qu’un jour intérieur illumine & qui font
Palpiter les ombres sacrées ;

Et l’éclat de ton col dressé jusqu’à l’orgueil
De ta face où dort la lumière ;
La fête de ton teint lilial & le deuil
De ta sombre & lourde crinière ;

Et tout ce qui me fut le suprême abandon
Des Cieux, du Rêve & de la Vie,
Ta beauté surhumaine, où mon âme asservie
Trouve sa gloire & ton pardon !

Sous les cieux que peuplait de ses grâces robustes
L’héroïque troupeau des filles d’Astarté,
Calme, j’aurais été, durant l’éternité,
Le familier discret de tes formes augustes.

A l’ombre des splendeurs sereines de ton corps.
J’aurais dormi le rêve éternel que je pleure,
Absous des trahisons de l’espace et de l’heure
Qui font tous nos pensers douloureux & discords.

Et d’une mort sans fin, plus douce que la vie,
Ta lèvre eût mesuré, seule, l’enivrement
A mes sens confondus dans l’immense tourment
Dont Vénus embrasait l’immensité ravie…

O douleur ! — le temps fuit, — le temps brise, — tu pars !
Et, des bûchers mortels dédaignant la brûlure,
Tu t’enfuis, emportant parmi ta chevelure,
De mes cieux déchirés tous les astres épars !

Et pourtant l’Infini, qu’en leur vol diaphane
Poursuivent, sous ton front, tes rêves surhumains,
Je l’enfermai pour toi, — moi mortel, moi profane, —
Dans mon cœur élargi par mes sanglantes mains.

Dans ma poitrine ouverte, argile sacrilége,
J’avais senti passer l’âme errante des Cieux,
Portant, comme un parfum, jusqu’à tes pieds de neige,
L’immense amour qui fait l’azur silencieux,

Qui fait la Mer pensive & tristes les Étoiles
Dans l’air vibrant du soir que bat son aile en feu,
Qui fait la Nuit sacrée & sème ses longs voiles
D’astres brûlants tombés des paupières d’un Dieu !

Ces pleurs divins, ces pleurs que ton orgueil réclame,
Cet Infini qui fait ton mal & ta pâleur,
Pour toi, je l’ai porté tour à tour dans mon âme,
— Vivant, dans mon amour, & mort, dans ma douleur !

La fierté de mon Etre ici gît tout entière :
Mesurant au tombeau l’amour enseveli,
J’ai jugé sa grandeur à peser sa poussière
Et pour lui ne crains pas l’outrage de l’oubli.

A l’horizon perdu des visions aimées
Son spectre, chaque jour, se lève grandissant
Et, comme un soleil rouge au travers des fumées,
Teint ces pâles brouillards du meilleur de mon sang.

En fuyant vers l’azur, malgré toi, tu l’emportes
Dans le pli virginal de tes voiles sacrés,
Ce sang vermeil & doux des illusions mortes
Dont ma veine a rougi tes beaux pieds adorés.

Et je monte vivant, avec toi, sur la cime
Où te suit sans merci mon amour obsesseur,
Palpitant, comme toi, de ton rêve sublime,
Fille auguste & terrible ! ô chercheuse ! ô ma sœur !

Collection: 
1971

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