• Ils me diront, — pauvres fous, —
    Que la terre se réveille,
    Que les vents soufflent plus doux,
    Qu’un ange, de sa corbeille,
    Fait tomber des fleurs sur nous.
     
    Ils me diront qu’au cerveau
    Montent, comme les fumées
    D’un vin étrange et nouveau,
    Mille senteurs bien aimées,
    Et que c’est le renouveau.

    Hélas ! je leur répondrai :...

  • Si je suis reine au bal dans ma rote traînante,
    Noyant mon petit pied dans un flot de velours ;
    Je suis belle en sortant de mes grands cerceaux lourds.
    Je n’ai rien à gagner dans leur prison gênante.

    Voyant mes cheveux d’or ondoyer sur mes reins,
    La Vénus à la conque aurait pâli d’envie.
    Comme elle, sur les eaux, tritons et dieux marins,
    Tout...

  • La neige tapissait la terre
    Et frangeait le toit des maisons ;
    Au coin de l’âtre, solitaire,
    Je regardais mes froids tisons.

    Bientôt une douce parole
    M’arrache à mon accablement…
    « — Viens ! disait-on, car je console
    » Des regrets, de l’isolement. » —

    Une femme jeune et rieuse
    S’accoudait à mon vieux fauteuil :
    La ravissante...

  • Le soleil disparaît dans son rouge brasier,
    Et le fleuve qui dort sous l’arche des nuages,
    Semble un champ noir coupé par des reflets d’acier.
    Vénus rit dans un fond sinistre de feuillages.

    Les bruits, les pas, les voix s’éteignent. C’est la nuit.
    Le crépuscule blanc pâlit sur l’eau moirée,
    Et l’ombre couvre tout de sa grande marée ;
    Comme un vaisseau...

  • Oui ! les cœurs sont muets et les âmes sont sourdes.
    Ce siècle est sombre ; l’air, chargé de vapeurs lourdes,
    Roule, dans un brouillard confus, des hurlements
    Vagues, mêlés de cris et de gémissements.
    La femme pleure et meurt : l’homme pleure et s’affaisse ;
    L’enfant pleure et s’éteint ; et, sous la nuit épaisse
    Et formidable, on voit serpenter dans les airs...

  • La Mélencolia se tient sur une pierre,
    Le visage en sa main, cependant que le soir,
    Triste, comme elle, étend son ombre sur la terre
    Et qu’au loin le soleil s’éteint dans un ciel noir.

    Que bâtit-on près d’elle ? Est-ce un grand monastère
    Pour une foi qui meurt, ou bien quelque manoir
    Dont les canons un jour feront de la poussière ?
    — Le soleil,...

  • YAMÎ.

    Selon le rhythme lent de vers scandant ses pas,
    Le Riçhi matinal traverse la pelouse.
    Vers le sein d’Yamî, ta sœur et ton épouse,
    Remonte, fils des Eaux ! le courant du trépas.

    YAMA.

    Pareil au faon mort-né d’une triste...

  • Quand le rêveur en proie aux douleurs qu’il active,
    Pour fuir l’homme et la vie, et lui-même à la fois,
    Rafraîchissant son âme au chant des cours d’eau vive,
    S’en va par les prés verts, par les monts, par les bois ;

    Refoulant dans son cœur la pensée ulcérée,
    Un suprême désir de néant et de paix,
    Profond comme la nuit, lent comme la marée,
    En lui...

  • Dans une cage de bois blanc,
    Où manquait l’espace à ses ailes,
    On voyait un aigle vivant
    Qui tenait closes ses prunelles ;

    Au-dessus de lui murmuraient,
    Roucoulaient, agitaient leurs têtes,
    Deux colombes qui s’adoraient
    Selon l’usage de ces bêtes.

    Et par instants l’oiseau royal
    Abaissant ses beaux yeux moroses,
    Regardait le couple...

  • Nous revenions, tous deux, par le triste chemin,
    Qui s’emplissait déjà d’une foule pressée.
    Tous avaient le pas lent et grave la pensée…
    Peut-être songeaient-ils à leur tour pour demain ?

    Je sondais, grave aussi, ce large flot humain,
    Quand je vois une enfant par sa mère embrassée ;
    La fillette à la marche était mal exercée,
    Mais portait bravement sa...