• Prison de Versailles, 8 septembre 1871

    Passez, passez, heures, journées !
    Que l’herbe pousse sur les morts !
    Tombez, choses à peine nées ;
    Vaisseaux, éloignez-vous des ports ;
    Passez, passez, ô nuits profondes.
    Emiettez-vous, ô vieux monts ;
    Des cachots, des tombes, des ondes.
    Proscrits ou morts nous reviendrons.

    Nous...

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    Amis, couple chéri, cœurs formés pour le mien,
    Je suis libre. Camille à mes yeux n'est plus rien.
    L'éclat de ses yeux noirs n'éblouit plus ma vue ;
    Mais cette liberté sera bientôt perdue.
    Je me connais. Toujours je suis libre et je sers ;
    Être libre pour moi n'est que changer de fers.
    Autant que l'univers a de beautés brillantes,
    Autant il a d'...

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    ADRIEN À DOMINIQUE.

    Frère, que tant de fois j’ai vu, sous les pins verts,
    Dans ton enthousiasme, improviser des vers ;
    Poète, dont la Muse, en lisant l’Evangile,
    Tient d’une main Horace et de l’autre Virgile ;
    Et dont Barthélémy, Cosnard, Méry, Deschamps,
    D’Un bravo sympathique ont salué les chants ;
    Muse qu’aima toujours la Muse des...

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    Patientez encor pour une autre folie.
    Les temps sont si mauvais, que pour son pauvre amant
    La Muse n’a gardé que sa mélancolie.
    Donc naguères vivaient, sous l’azur d’Italie,
    Deux frères de Toscane au langage charmant,
    Qui n’avaient qu’eux au monde et s’aimaient saintement.

    Deux lutteurs aguerris, formidables athlètes
    Jetés dans le champ clos...

  • Ils s’en reviennent de l’école,
    Un livre dans leur petit sac.
    — Au loin, on entend le ressac
    De la Creuse qui dégringole.

    L’aîné rapporte une bricole,
    De la chandelle et du tabac.
    Ils s’en reviennent de l’école,
    Un livre dans leur petit sac.

    Mais la nuit vient ; dans sa rigole
    La grenouille fait son coac,
    Et tous les deux, ayant le...

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    Pour mon père.

    Le soir, quand la pensée ouvre grande son aile
    Et prend à l’horizon un essor incertain,
    J’ai souvent tressailli de pitié fraternelle,
    En songeant aux damnés de l’enfer africain.

    Deux à deux, à pas lents, sous leurs charges d’ivoire
    Courbant leurs dos meurtris, ils vont silencieux.
    Le sang de tons vermeils marque...

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    Dans les vastes forêts de la vieille Allemagne
    Que nivela jadis le doigt de Charlemagne,
    Je me rappelle avoir entendu bien souvent
    Une vieille ballade au refrain émouvant.
    Ce chant nerveux et doux, de date séculaire,
    Éclos dans le grand front d’un rimeur populaire,
    Est venu bien souvent — lorsque je m’en allais
    En chanteur ambulant, sans argent...

  • Huitain

    Mes beaux pères religieux,
    Vous dînez pour un grand merci ;
    Ô gens heureux ! ô demi-dieux !
    Plût à Dieu que je fusse ainsi !
    Comme vous, vivrais sans souci ;
    Car le voeu qui l'argent vous ôte,
    Il est clair qu'il défend aussi
    Que vous payiez jamais votre hôte.

  • Aujourd'hui qu'au tombeau je suis prêt à descendre,
    Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre.
    Je ne veux point, couvert d'un funèbre linceul,
    Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
    Appelés aux accents de l'airain lent et sombre,
    De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
    Et sous des murs sacrés aillent ensevelir
    Ma vie, et ma dépouille, et...

  • Tout homme a ses douleurs. Mais aux yeux de ses frères
    Chacun d'un front serein déguise ses misères.
    Chacun ne plaint que soi. Chacun dans son ennui
    Envie un autre humain qui se plaint comme lui.
    Nul des autres mortels ne mesure les peines,
    Qu'ils savent tous cacher comme il cache les siennes ;
    Et chacun, l'oeil en pleurs, en son coeur douloureux
    Se...