• Vous souvient-il du bon vivant,
    Rougeaud comme jambon en foire,
    Qui s’ébaudissait au couvent
    Du petit Saint-André-sur-Loire ?
    Il ne lisait aucun grimoire,
    Mais noyait, en franc déchaussé,
    Au fond du pot son a b c.
    Las ! le deuil est au réfectoire,
    Frère Panuce est trépassé.

    Le bon diable ! Aux fêtes d’Avent
    Comme il jouait de la...

  • Comme un bourreau rusé qui tend à sa victime
    L’embûche d’un grief aux détours captieux,
    Je t’accuse, et je mets un art très-précieux
    A te prendre en défaut sur ta pensée intime.

    Défends-toi ! n’as-tu pas mainte arme légitime :
    Ta splendide beauté, les larmes de tes yeux,
    Et ces bras que tu tords en attestant les dieux,
    Et ces baisers qu’hier j’aurais...

  • J’ai fait plus d’une fois le rêve de Jean-Jacques.
    Avoir, près d’un pêcher qui fleurirait à Pâques,
    Un bout de maison blanche au fond d’un chemin creux.
    C’est tout ce qu’il me faut, je crois, pour être heureux.
    Ce serait tout là-bas, proche la Samiane,

    En un recoin fleuri de la terre bressanne
    Où de mon lit, du moins, je verrais quelquefois
    Le matin...

  • Pauvres fleurs d’un bouquet de fête,
    Votre fraîcheur, que peu d’instants
    Effaceront, semble mal faite
    Pour promettre d’aimer longtemps !

    Peut-on, sans ironie amère,
    Engager l’avenir lointain,
    Quand on est la rose éphémère
    Ou le liseron d’un matin ?

    Mais dites à la bien-aimée,
    Fleurs frêles aux tendres couleurs,
    Que votre beauté...

  • O le clair matin, la belle gelée !
    Un soleil d’argent sur la plaine blanche
    Verse une clarté frileuse et voilée :
    On sonne la messe à toute volée :
    O la bonne bise, ô le beau dimanche !

    Sur les arbres morts aux ramures nues
    En fins diamants resplendit le givre.

    L’azur froid scintille à travers les nues,
    Voilà mes gaîtés soudain revenues
    ...

  • Quand Vénus au reflet d’opale
    Brillera de loin sur nos fronts,
    Quand viendra l’heure, nous irons,
    Comme au hasard, dans le soir pâle.

    Je marcherai dans les sillons,
    Tu t’en viendras par la prairie ;
    Moi, sous un vol impur qui crie,
    Toi, sous l’essaim des papillons.

    Tu suivras le sentier qui chante
    Au crépuscule doucement ;
    Je...

  • Il dort, le blanc vieillard, dans son manteau vermeil ;
    L’Abeille de Sagesse à ses lèvres murmure.
    Guerrier depuis longtemps libre de son armure,
    De grands ressouvenirs agitent son sommeil.

    Il dort environné du royal appareil,
    Par les siècles l’ayant gardé sans entamure.
    Et sa gloire aujourd’hui qui tombe, moisson mûre,
    Nul n’a pu la faucher, du moins...

  • Un Christ en croix, saignant, maigre, pâle, livide.
    Il est seul, déserté de tous ; le ciel est vide :
    Ce ciel qu’il évoquait d’un regard éperdu :
    Ne s’est pas entr’ouvert et n’a rien répondu :
    Et ce Christ est-il mort dans l’angoisse suprême,
    Ayant douté de nous, de douter de Dieu même ?

  • La jeunesse en sa fleur première :
    L’orgueil farouche du devoir ;
    L’impatience de savoir,
    Jugeant courte une vie entière ;

    Tout ce qui parle de lumière ;
    Tout ce qui répugne à déchoir ;
    Tout ce qui peut germer d’espoir :
    Nous avons tout mis dans la bière !

    Jamais le bien, le vrai, le beau
    N’auraient trahi, dans le tombeau,
    Une âme à...

  • O la rafraîchissante et consolante idée,
    Mourir ! trouver enfin le silence et la nuit,
    Fermer mes yeux au jour mes oreilles au bruit,
    Vider la coupe noire à ma soif accordée,

    Dormir, oublier ! puis, toute l’éternité,
    Rêver d’amour sans fin, rêver de paix sans lutte,
    Ne plus craindre à mes pieds le piége ni la chute,
    Et poursuivre à loisir l’idéale...