Émile Nelligan

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    Or, la pourpre vêt la véranda rose
    Au motif câlin d’une mandoline,
    En des sangs de soir, aux encens de rose,
    Or, la pourpre vêt la véranda rose.

    Parmi les eaux d’or des vases d’Egypte,
    Se fanent en bleu, sous les zéphirs tristes,
    Des plants odorants...

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    Dans le salon ancien à guipure fanée
    Où fleurit le brocat des sophas de Niphon,
    Tout peint de grands lys d’or, ce glorieux chiffon
    Survit aux bals défunts des dames de lignée.

    Mais, ô deuil triomphal ! l’autruche surannée
    S’effrange sous les pieds de...

  • En la grand’chambre ancienne aux rideaux de guipure
    Où la moire est flétrie et le brocart fané,
    Parmi le mobilier de deuil où je suis né
    Et dont se scelle en moi l’ombre nacrée et pure ;

    Avec l’obsession d’un sanglot étouffant,
    Combien ma souvenance eut d’amertume...

  • Par les hivers anciens, quand nous portions la robe,
    Tout petits, frais, rosés, tapageurs et joufflus,
    Avec nos grands albums, hélas ! Que l’on n’a plus,
    Comme on croyait déjà posséder tout le globe !

    Assis en rond, le soir, au coin de feu, par groupes,
    Image sur...

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    Par des temps de brouillard, de vent froid et de pluie,
    Quand l’azur a vêtu comme un manteau de suie,
    Fête des anges noirs! dans l’après-midi, tard,
    Comme il est douloureux de voir un corbillard,
    Traîné par des chevaux funèbres, en automne,
    S’en aller...

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    J’ai cru voir sur mon cœur un essaim de corbeaux
    En pleine lande intime avec des vols funèbres,
    De grands corbeaux venus de montagnes célèbres
    Et qui passaient au clair de lune et de flambeaux.

    Lugubrement, comme en cercle sur des tombeaux
    Et flairant un...

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    Prêtre, je suis hanté, c’est la nuit dans la ville,
    Mon âme est le donjon des mortels péchés noirs,
    Il pleut une tristesse horrible aux promenoirs
    Et personne ne vient de la plèbe servile.

    Tout est calme et tout dort. La solitaire Ville
    S’aggrave de l’...

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    Je rêve de marcher comme en conquistador,
    Haussant mon labarum triomphal de victoire,
    Plein de fierté farouche et de valeur notoire,
    Vers des assauts de ville aux tours de bronze et d’or.

    Comme un royal oiseau, vautour, aigle ou condor,
    Je rêve de planer...

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    Au jour ou mon aïeul fut pris de léthargie,
    Par mégarde on avait apporté son cercueil;
    Déjà l’étui des morts s’ouvrait pour son accueil,
    Quand son âme soudain ralluma sa bougie.

    Et nos âmes, depuis cet horrible moment,
    Gardaient de ce cercueil de grandes...

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    Dans le boudoir tendu de choses de Malines
    Tout est désert ce soir, Emmeline est au bal.

    Seuls, des Camélias, en un glauque bocal
    Ferment languissamment leurs prunelles câlines.

    Sur des onyx épars, des bijoux et des bagues
    Croisent leurs mains reflets...