Émile Nelligan

  • Rien n'est plus doux aussi que de s'en revenir
    Comme après de longs ans d'absence,
    Que de s'en revenir
    Par le chemin du souvenir
    Fleuri de lys d'innocence
    Au jardin de l'Enfance.

    Au jardin clos, scellé, dans le jardin muet
    D'où s'enfuirent les gaîtés...

  • En expirant sur l'arbre affreux du Golgotha,
    De quel regret ton âme, ô Christ, fut-elle pleine ?
    Etait-ce de laisser Marie et Madeleine
    Et les autres, au roc où la Croix se planta ?

    Quand le funèbre choeur sous Toi se lamenta,
    Et que les clous crispaient tes mains...

  • Casqués de leurs shakos de riz,
    Vieux de la vieille au mousquet noir,
    Les hauts toits, dans l'hivernal soir,
    Montent la consigne à Paris.

    Les spectres sur le promenoir
    S'ébattent en défilés gris.
    Restons en intime pourpris,
    Comme cela, sans dire ou...

  • Les pieds sur les chenets de fer
    Devant un bock, ma bonne pipe,
    Selon notre amical principe
    Rêvons à deux, ce soir d'hiver.

    Puisque le ciel me prend en grippe
    (N'ai-je pourtant assez souffert ?)
    Les pieds sur les chenets de fer
    Devant un bock,...

  • Sainte Notre-Dame, en beau manteau d'or,
    De sa lande fleurie
    Descend chaque soir, quand son Jésus dort,
    En sa Ville-Marie.
    Sous l'astral flambeau que portent ses anges,
    La belle Vierge va
    Triomphalement, aux accords étranges
    De céleste bîva.

    Sainte...

  • Aux soupirs de l'archet béni,
    Il s'est brisé, plein de tristesse,
    Le soir que vous jouiez, comtesse,
    Un thème de Paganini.

    Comme tout choit avec prestesse !
    J'avais un amour infini,
    Ce soir que vous jouiez, comtesse,
    Un thème de Paganini.
    ...

  • Voici que le dahlia, la tulipe et les roses
    Parmi les lourds bassins, les bronzes et les marbres
    Des grands parcs où l'Amour folâtre sous les arbres
    Chantent dans les soirs bleus ; monotones et roses

    Chantent dans les soirs bleus la gaîté des parterres,
    Où...

  • Mort, que fais-tu, dis-nous, de tous ces beaux trophées
    De vierges que nos feux brûlent sur tes autels ?
    Réponds, quand serons-nous pour jamais immortels
    Aux lumineux séjours des célestes Riphées ?

    J'eus vécu l'Idéal. Au paradis des Fées
    Elle était !... Je ne sais...

  • Voici venir les tristes frères
    Vers la cellule où tu te meurs.
    Ton esprit est plein de clameurs
    Et de musiques funéraires.

    Apportez-lui le Viatique.
    Saint Bénédict, aidez sa mort !
    Bien que faible, faites-le fort
    Sous votre sainte égide antique.
    ...

  • Je remarquais toujours ce grand Jésus de plâtre
    Dressé comme un pardon au seuil du vieux couvent,
    Echafaud solennel à geste noir, devant
    Lequel je me courbais, saintement idolâtre.

    Or, l'autre soir, à l'heure où le cri-cri folâtre,
    Par les prés assombris, le regard...