Émile Nelligan

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    Alors qu’il nous eût fui le grand vent des hivers,
    Aux derniers ciels pâlis de mars, nous la menâmes
    Dans le hallier funèbre aux odeurs de cinnames,
    Où germaient les soupçons de nouveaux plants rouverts.

    De hauts rameaux étaient criblés d’oiseaux divers
    Et...

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    Vois-tu près des cohortes bovines
    Choir les feuilles dans les ravines,
    Dans les ravines ?

    Vois-tu sur le côteau des années
    Choir mes illusions fanées,
    ...

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    Nous nous serrions, hagards, en silencieux gestes,
    Aux flamboyants juins d’or, pleins de relents, lassés,
    Et tels, rêvassions-nous, longuement en enlacés,
    Par les grands soirs tombés, triomphalement prestes.

    Debout au perron gris, clair-obscuré d’agrestes...

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    Ce frêle soulier gris et or,
    Aux boucles de soie embaumée,
    Tel un mystérieux camée,
    Entre mes mains, ce soir, il dort.

    Tout à l’heure je le trouvai
    Gisant au fond d’une commode...
    Petit soulier d’ancienne mode,
    Soulier du souvenir... Ave ! -...

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    Donc, ta voix de bronze est éteinte:
    Te voilà muet à jamais !
    L’heure plus ne vibre ou ne tinte
    Dans la grand’salle que j’aimais,

    Où je venais, après l’étude,
    Fumer le soir, rythmant des vers,
    Où l’abri du monde pervers
    Éternisant ma solitude...

  • Quelquefois je suis plein de grandes voix anciennes,
    Et je revis un peu l’enfance en la villa ;
    Je me retrouve encore avec ce qui fut là
    Quand le soir nous jetait de l’or par les persiennes.

    Et dans mon âme alors soudain je vois groupées
    Mes sœurs à cheveux blonds...

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    Grave en habit luisant, un grand nègre courbé,
    Va, vient de tous côtés à pas vifs d’estafette:
    Le paon truffé qui fume envole une bouffette
    Du clair plateau d’argent jusqu’au plafond bombé.

    Le triomphal service au buffet dérobé,
    Flambe. Toute la salle en...

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    Pendant que nous lisions Werther au fond des bois,
    Hier s’en vînt chanter un robin dans les branches ;
    Et j’en saisi vos mains, j’ai saisi vos mains blanches,
    Et je vous ai parlé d’amour comme autrefois.

    Mais vous êtes restée insensible à ma voix,
    Muette...

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    Parfois j’ai le désir d’une sœur bonne et tendre,
    D’une sœur angélique au sourire discret :
    Sœur qui m’enseignera doucement le secret
    De prier comme il faut, d’espérer et d’attendre.

    J’ai ce désir très pur d’une sœur éternelle,...

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    C’est un vase d’Egypte à riche ciselure,
    Où sont peints des sphinx bleus et des lions ambrés:
    De profil on y voit, souple, les reins cambrés,
    Une immobile Isis tordant sa chevelure.

    Flambantes, des nefs d’or se glissent sans voilure
    Sur une eau d’argent...