Plénitude

AH ! laissez-moi chanter, oh ! laissez-moi vous dire
Comme j’ai des rayons, comme j’ai du délire,
Comme j’ai de l’amour !
Oh ! laissez-moi vous dire et vous redire encore
Que la nuit me couvrait, et que voici l’aurore,
Et que voici le jour !

Depuis longtemps brillaient au meilleur de mon âme
Vos longs cheveux flottants, vos yeux baignés de flamme,
Votre front souverain.
Mais j’avais imposé le silence à ma lèvre,
Et de mes diamants, mystérieux orfèvre,
J’avais fermé l’écrin.

Maintenant, mon cœur s’ouvre et mon âme déborde,
Et déjà sur ma lyre il n’est plus une corde
Qui n’exhale un son doux,
Quand j’entends votre nom, quand près de vous j’arrive,
Quand je vois seulement, comme un feu sur la rive,
Une clarté chez vous.

Ne me répondez pas que cela vous effraie,
Que tout enivrement en soi porte une plaie,
Que c’est sans guérison ;
Que plus un rêve est doux, plus pur est un calice,
Et plus, pour l’avenir, l’un révèle un supplice,
L’autre cache un poison.

Je le sais. Loin de moi cette étrange pensée
Qu’aux abîmes du ciel j’aurais l’âme lancée,
Sans aller m’y meurtrir.
Mais j’ai tout accepté ; cela même est ma joie
De voir l’amour si fort, si rude pour sa proie,
Qu’elle en puisse mourir !

Laissez-moi donc baiser la terre qui vous porte.
Ma blessure est déjà profonde. Que m’importe !
Je veux l’envenimer.
Laissez mes yeux vous voir et mes rêves vous suivre.
Je suis vaillant et fort, je veux souffrir et vivre,
Me briser, vous aimer !

  

Collection: 
1856

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