Un lis

LES roses, je les hais, les insolentes roses
Qui du plaisir facile et changeant sont écloses,
Les roses dont l’envie est d’aller à chacun
Montrer leur coloris et livrer leur parfum,
Les roses pour qui rien n’est plus beau que la terre,
Les roses sans douleur, sans rêve et sans mystère.
Quelquefois j’ai voulu m’en couronner, pensant,
Pour endormir le cœur, leur baume tout puissant ;
Mais mon cœur brûlait trop, les roses en sont mortes,
Et sur leurs vains débris où rampent les cloportes,
A poussé d’elle-même une mystique fleur,
Enivrante avec calme et belle avec pâleur.
Son calice profond s’ouvre pour toute larme.
De sommeil et d’oubli son parfum verse un charme :
Sommeil chassant l’orgueil, oubli du mal passé,
Où par l’espoir et par le rêve on est bercé.
Si haut, dans l’infini, plane sa tête fière
Qu’il ne peut jusque-là monter vent ni poussière.
Elle ne connaît pas le monde, ne veut rien
Des hommes ; sans souci qu’on lui dise : c’est bien,
Ou : c’est mal, loin de tout, rires, haines, louanges,
Dans l’azur, elle songe à la beauté des anges.

Sachant qu’elle possède en son cœur un trésor,
A l’abri des regards elle met ce cœur d’or
Dans un calice blanc à donner le vertige.
S’isoler lui va mieux que de courber sa tige
Vers les faiseurs de bruit, vers les vainqueurs d’un jour ;
Et si jamais du ciel descendait son amour,
Ce serait sur une âme obscurément martyre,
Sur un grand cœur, n’ayant qu’elle pour lui sourire.

  

Collection: 
1856

More from Poet

  • I

    VOYAGEUR, prends garde ! c’est l’heure
    Où le soleil va se coucher.
    Pour la nuit cherche une demeure ;
    Tes pieds saignent de trop marcher.

    — Non ! je poursuivrai la lumière,
    Non ! je poursuivrai le soleil,
    Franchissant montagne et rivière,...

  • DES violettes sont, d’une nature exquise,
    Dont la teinte est plus pâle et plus vague l’odeur ;
    Il leur faut le soleil et non l’ombre indécise,
    L’essence en est plutôt l’amour que la pudeur.

    Dans la serre, à l’automne, on met ces violettes ;
    Car, dès qu’il vient du...

  • LES roses, je les hais, les insolentes roses
    Qui du plaisir facile et changeant sont écloses,
    Les roses dont l’envie est d’aller à chacun
    Montrer leur coloris et livrer leur parfum,
    Les roses pour qui rien n’est plus beau que la terre,
    Les roses sans douleur, sans...

  • TU demandes où vont mes pensers aujourd’hui,
    Pourquoi je ne dis rien, et si c’est par ennui ?
    Non, ce n’est pas l’ennui, c’est l’amour qui m’oppresse.
    Si je courbe le front, c’est sous trop d’allégresse,
    Comme un arbre au printemps se courbe sous ses fleurs.
    La...

  • CLAIRE est la nuit, limpide est l’onde.
    Les astres faisant leur miroir
    De la nappe large et profonde,
    Y sont encor plus doux à voir.

    Le paysage a, sur la rive,
    Le charme et le rêve absolus.
    Trop tôt quelque laideur arrive.
    Rameurs, c’est bien ; ne...