Je me croyais poète et jâai pu me méprendre,
Dâautres ont fait la lyre et je subis leur loi ;
Mais si mon âme est juste, impétueuse et tendre,
Qui le sait mieux que moi ?
Oui, je suis mal servi par des cordes nouvelles
Qui ne vibrent jamais au rhythme de mon cÅur ;
Mon rêve de sa lutte avec les mots rebelles
Ne sort jamais vainqueur !
Mais quoi ! le statuaire, au moment où lâargile
Refuse au sentiment le contour désiré,
Parce quâil trouve alors une fange indocile
Est-il moins inspiré ?
Si mon dessein secret demeure obscur aux hommes
A cause de lâoutil qui tremble dans ma main,
Dieu, qui sans interprète aperçoit qui nous sommes,
Juge lâÅuvre en mon sein.
Quand jâai changé mon âme en un bruit pour lâoreille,
Les hommes ont-ils vu ma joie et ma douleur ?
ils nâont quâun mot : lâamour, expression pareille
De mon trouble et du leur.
Heureux qui de son cÅur voit lâimage apparaître
Au flot dâun verbe pur comme en un ruisseau clair,
Et peut manifester comment frémit son être
En faisant frémir lâair !
Hélas ! A mes pensers le signe se dérobe,
Mon âme a plus dâélan que mon cri nâa dâessor,
Je sens que je suis riche, et ma sordide robe
Cache aux yeux mon trésor.
Lâairain sans lâeffigie est un bien illusoire,
Et jâen porte un lingot quâil faudrait monnayer ;
Jâai de ce fort métal dont sâachète la gloire,
Et ne la puis payer.
La gloire ! oh ! surnager sur cette immense houle
Qui, dans son flux hautain noyant les noms obscurs,
Des brumes du passé se précipite et roule
Aux horizons futurs !
Voir mon Åuvre flotter sur cette mer humaine,
Dâun bout du monde à lâautre et par delà ma mort,
Comme un fier pavillon que la vague ramène
Seul, mais vainqueur, au port !
Ce rêve ambitieux remplira ma jeunesse,
Mais, si lâair ne sâest point de ma vie animé,
Que dans un autre cÅur mon poème renaisse,
Quâil vibre et soit aimé !