Tristesse dans la joie

TU demandes où vont mes pensers aujourd’hui,
Pourquoi je ne dis rien, et si c’est par ennui ?
Non, ce n’est pas l’ennui, c’est l’amour qui m’oppresse.
Si je courbe le front, c’est sous trop d’allégresse,
Comme un arbre au printemps se courbe sous ses fleurs.
La cime a ses glaciers, la joie a ses pâleurs.
Il est de ces moments mystérieux où l’âme,
A contempler l’azur, près d’une autre, se pâme.
Où, pendant qu’on se tait, parlant avec les yeux,
On emplit de son cœur l’immensité des cieux.
Oh ! je suis bien ici ! Le repos me pénètre.
De tes yeux arrêtés sur les miens, je vois naître
Mille tendres pensers, mille désirs charmants
Qui par couples s’en vont, ainsi que des amants.
Dans le pli de ta joue habite quelque chose
D’ailé, de musical, d’embaumant et de rose,
Et cette poésie et cette ivresse font
Vibrer dans ma poitrine un bonheur si profond
Que n’osant m’y livrer, craignant qu’il ne s’envole,
Devant lui je demeure inerte et sans parole.

Mais cet accablement qui par toi m’est venu,
A des charmes plus grands que rien qui soit connu,
Et, dans le tourbillon des voluptés sans nombre,
Nulle ne vaut pour moi cette volupté sombre
De la mélancolie au milieu de l’amour.
C’est une belle nuit à côté d’un beau jour.
A côté du soleil à la splendeur sans voiles,
C’est la mollesse entrant au cœur par les étoiles.
Je ne suis plus, vois-tu, ni fier ni triomphant,
Mais faible, me serrant à toi comme un enfant.
Berce-moi sur ton cœur, berce-moi ! Sais la vague
Où me plongeant, je roule à jamais dans le vague.
Il est doux, ton amour ; j’aime à m’en abreuver.
Caresse moi le front, et laisse moi rêver.

  

Collection: 
1856

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