Le premier homme est né, mais il est solitaire.
Il se sent l’âme triste en contemplant la terre :
« Pourquoi tant de trésors épars de tous côtés,
Si je ne peux, dit-il, étreindre ces beautés ?
Ni les arbres mouvants, ni les vapeurs qui courent,
Je ne puis rien saisir des objets qui m’entourent ;
Ils sont autres que moi, je ne les puis aimer,
Et j’en aimerais un que je ne sais nommer. »
Il demande un regard à l’aurore sereine,
Aux lèvres de la rose il demande une haleine,
Une caresse aux vents, et de plus tendres sons
Aux murmures légers qui montent des buissons ;
Des grappes de lilas qu’un vol d’oiseau secoue
Il sent avec plaisir la fleur toucher sa joue,
Et, tourmenté d’un mal qu’il ne peut apaiser,
Il cherche vaguement le bienfait du baiser.
Mais un jour, à ses yeux, la nature féconde
De toutes les beautés qu’il admirait au monde
Fit un bouquet vivant, de jeunesse embaumé.
« Ô femme, viens à moi, s’écria-t-il charmé.
Femme, Dieu n’eût rien fait s’il n’eût fait que la rose :
La rose prend un souffle et ta bouche est éclose ;
Dieu de tous les rayons dispersés dans les cieux
Concentre les plus doux pour animer tes yeux.
Avec l’or de la plaine et le lustre de l’onde
Il fait ta chevelure étincelante et blonde.
Il forme de ton front la paix et la splendeur
Avec un lis nouveau qu’il a nommé candeur,
Et du frémissement des feuilles remuées,
Du caprice des flots et du vol des nuées,
De tout ce que la grâce a d’heureux mouvement
Il forme ta caresse et ton sourire aimant ;
Il choisit dans les fleurs les couleurs les plus belles
Pour en orner ton corps mobile et frais comme elles,
Et la terre n’a rien, ni l’onde, ni l’azur,
Qu’on ne possède en toi plus brillant et plus pur. »