Chant du sommeil

JE voudrais les savoir, les mystiques paroles,
Que la lune, le soir, verse sur les corolles ;
Ce qu’elle dit au lac, je voudrais le trouver,
Pour assoupir tes yeux à lueur trop profonde,
Pour t’isoler du bruit et des désirs du monde,
Pour te voir longuement et longuement rêver.

Demain, je te dirai mes doutes et mes fièvres,
Ce qui m’étreint le cœur et me brûle les lèvres ;
Demain sera le jour du formidable pas.
Demain nous ouvrira les portes de l’abîme,
Et je t’emporterai dans le combat sublime
Qui blessera nos cœurs à ne nous guérir pas.

Ce soir, je veux te faire un nid où rien ne blesse,
Poser dans les parfums ton cœur avec mollesse,
Te bercer en enfant, te cacher en trésor.
Dans ce calme de l’ombre où tout chante à voix basse,
Je veux que, l’aile prête à conquérir l’espace,
Sur la ramure en fleur, notre amour rêve encor.

Laisse-moi prosterné devant toi qui reposes.
Ton cœur renferme un lys, tes mains sèment les roses.
Tu me fais rame blanche et m’empourpres le front.
Ta beauté, c’est le marbre antique aux belles lignes,
Ta pensée est un vol d’aigles mêlés de cygnes,
Tu planes dans l’azur des choses qui vivront.

Un soupir régulier soulève ta poitrine.
Dors comme le nuage et la vague marine,
Toi qui contiens la foudre et la tourmente aussi.
Dors avec tes baisers voltigeant sur ta bouche,
Dors dans tes longs cheveux, dors charmante et farouche ;
Je tremble de t’aimer, et je t’en dis merci.

  

Collection: 
1856

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