L’Alcyon

BELLE de ta fierté, dors en paix, ô mon âme.

Toutes les passions qu’on cache ou qu’on proclame,
L’orgueil, l’ambition, l’amour, la haine, font,
Pour t’entraîner en bas, un tourbillon profond.
Les remous écumants et les vagues livides
Mêlent, autour de toi, les grands bonds aux grands vides.

Dors en paix, ô mon âme, en haut de ton rocher.

Si de toi quelque flot tente de s’approcher,
Ne crains rien. N’as-tu pas, comme l’oiseau, des ailes ?
Imite l’alcyon léger, aux blancheurs frêles,
Qui, dédaigneux du vent, dominateur des flots,
Sur la pointe d’un cap repose, les yeux clos,
De l’essor qu’il peut prendre ayant la conscience.

Dors en paix, ô mon âme. En toi prends confiance.
Ton repos s’est placé sur de trop fiers sommets
Pour que rien des bas-fonds y parvienne jamais.
Petitesses, calculs, lâchetés, vilenies ;
Tout ce qui va rampant sur les âmes ternies,
A peur, mime de loin, d’affronter ton mépris.
Tout cela, dans les trous se creusant des abris,
Ne tient qu’à vivre en paix, sans chercher d’aventure ;
Tout cela ne hait rien, n’aime que sa pâture,
Ne songe qu’a fermer ses regards au danger
Des grandes visions qui pourraient déranger.

N’en prends donc pas souci, car c’est le néant même.
Sans y jeter les yeux, reste en haut, aspire, aime,
O mon âme ; cela n’a nul pouvoir sur toi.
Sans doute il est des flots dignes de plus d’effroi.
A ceux-là, le puissant tournoîment qui fascine,
Le jet qui saute au front, le choc qui déracine,
Les trompeuses grandeurs, les sombres voluptés,
Et parfois des rayons de soleil reflétés
Par leur verdâtre houle.
                                    Oh ! fuis-les sans faiblesse !
Comme ce qui salit, dédaigne ce qui blesse,
Et qui n’est pas le pur et sublime tourment
Du besoin d’idéal qui te va consumant.
Laisse les flots humains se ruer sur la roche
Où tu vis en rêvant, sans peur et sans reproche ;
Car si jamais, l’ayant par la base creusé,
Ils renversaient le faîte où ton vol s’est posé,
S’ils voulaient t’entraîner à souffrir sur la terre
De quelque vain orgueil, de quelque espoir vulgaire,
Plutôt que de subir ces maîtres de trop près,
Je jure par la mort que tu t’envolerais.

  

Collection: 
1856

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