Autour de toi la vie est comme un cirque immense,
Où le troupeau stupide et fauve des humains,
Depuis l’aube des temps, se rue, avec des mains
De haine, avec des fronts et des yeux de démence.
Un nuage de feu vivant, d’éclairs zébré,
De la vapeur du sang versé couvre l’arène,
Et, voile triomphal drapé de terreurs, traîne
Sa pourpre aux pans roidis sur le sable altéré.
Et le combat oscille, et l’élan unanime
Ondule en longs remous, où l’enchevêtrement
Des formes et des noms mêle, innombrablement,
Le défi du stoïque aux blasphèmes du crime.
La horde intérieure, avec ses visions
Sacrilèges, est là. L’Ame est là, tout entière,
Les monstres aux cent bras et tout le bestiaire
Formidable et hideux des rauques passions.
Droits sur leurs bases par le carnage inondées,
Des simulacres d’or vierge et de bronze noir,
Indifférents et sourds, regardent sans le voir
Le duel anxieux de l'Homme et des idées.
Et, comme un dais de fer, écrasant l'horizon
De la superbe horreur de sa splendeur mauvaise,
Sur le massacre ardent qu’il couvre d’ombre, pèse
L’infranchissable cercle enfermant la Raison.
Cependant que, scandant des prières suprêmes,
D’idolâtres clameurs, hors des fanges du sol,
Montent, et, par instants, élargissant leur vol,
Balaient les deux avec le vent des anathèmes.
Une foule invisible et qu'on entend gronder,
Qu’on nie, et qui pourtant est là, surnaturelle,
A peuplé les gradins ténébreux, et, sur elle,
L’énigme de la nuit semble encor s’attarder.
Et dans le tourbillon hurlant qui s’accélère,
Latente, elle contemple, à ses pieds déferlant,
L’écume du combat qui ruisselle, roulant
La servile sueur aux eaux de sa colère.
Et parfois, de ce monde à face d’éléments
L’indécise mêlée évente le mystère,
Quand, prise d’un frisson qui l’oblige à se taire,
La multitude fait silence, et par moments,
Ecoute, dans l’effroi du jour muet qui tombe
Sur les fronts des martyrs, des dieux et des bourreaux,
Derrière un inconnu fermé de noirs barreaux
Et d’où souffle l’odeur étrange de la tombe,
Sur le charnier toujours accru, prêts à surgir,
Au geste deviné de quelque belluaire
Inaperçu, mais qui rôde dans l’ossuaire,
Les Lions de la Mort haleter et rugir.
Toi seul, Dominateur de cette tourbe infâme,
Héros silencieux et que rien n’a troublé
Dans ton effort tendu vers ton ciel étoilé,
Faible comme eux pourtant, comme eux fils de la femme,
Mais qui, seul dans ton Rêve et dans ta Volonté,
Sans demander à la Nature maternelle
Ce que notre envieuse étude cherche en elle,
N’attends pas de réponse et n’as jamais douté,
Ceins-toi du calme orgueil des vertus ascétiques,
Que ta Foi soit plus haute et plus haut ton Devoir,
Pour que, ton jour venu, tu dédaignes devoir,
L’ombre marquer ton heure au sable des portiques,
Et tu pourras t’étendre en ta couche aux plis froids,
Sans qu’un regret te hante ou qu’un cri te roidisse,
Si tu n’abdiques rien, jusqu’au soir de justice,
Et de ce que tu sais et de ce que tu crois.