Hymne à l’Orgueil

 
Orgueil ! ô loi suprême et suprême devoir,
Fait de majesté sainte et de beauté pensive,
Seul culte dont la foi ne puisse décevoir,
Seul rêve d’infini qui, dans le tombeau noir,
      Au vieux rêve divin survive !

Sombre consolateur de notre cœur blessé,
Qui viens à nous, les bras lourds de palmes augustes,
Seul rédempteur que les dieux morts nous aient laissé,.
Unique prix dont soit encor récompensé
      Le martyre inconnu des justes,

Feu dérobé par l’homme à l’éternel bûcher,
Vengeur des maux soufferts et des haines subies,
Mystérieux et noir et formidable archer,
Que l'horreur de notre âme écoute encor marcher
      Dans ses ténèbres assoupies,

Toi, par qui, dans l’absence impassible des Dieux,
Celui dont les regards sont purs trouve en lui-même,
À la seule clarté dont brûlent dans ses yeux
Les flambeaux d'or de son dédain silencieux,
      Et sa cause et sa fin suprême !

Si l'antique promesse a désormais menti,
S’il faut que la matière inerte ensevelisse
Dans son muet linceul notre être anéanti,
Si, sans échos, l’appel de l’homme a retenti
      Du futur au passe complice ;

Et si le nouveau-né farouche, et que la nuit
Vomit dans le torrent de l’existence sombre,
Du fond de ce qu’il fut ne rapporte avec lui
Que cette sœur spectrale et qui toujours nous suit,
      Et que nous appelons notre ombre,

Et si, pour le vieillard courbé sur le sol nu,
La mort béante bâille avec des crocs qui saignent,
Au creux du puits tranquille et froid de l’inconnu,
Dans l’abîme d’où nul n’est jamais revenu,
      Avec des mots qui nous enseignent,

Orgueil ! dernière foi qui ne nous peux faillir,
Chante ! et fais dans nos cœurs, comme une pourpre gerbe,
La colère au flot rouge et grondant tressaillir,
Et de tes buccins d’or en révolte jaillir
      La malédiction superbe ;

Mure dans mon mépris calme et silencieux
Tout ce qui frappe encore et bat à grands coups d’aile
Les portes de lumière et d’azur de mes yeux,
Fais qu’en ma vision, aux prestiges des cieux
      Close comme une citadelle,

Dans l’ombre intérieure et qui le voile encor,
Seul, le chœur tout puissant des forces, cadencées
Par l’immuable loi qui guide leur essor,
Obéisse et se meuve et règle son accord
      Sur la lyre de mes pensées,

Pour qu’en une œuvre unique et multiple à la fois,
L’intelligence humaine au verbe humain réponde,
Et, par les éléments ordonnés à ma voix,
Qu’en l'âme universelle et totale, je sois
      L’Amphion monstrueux d’un monde !

Collection: 
1885

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